A cet égard, l’histoire de Fatma est emblématique. Elle a été amenée avec son petit frère Muhammed, 5 ans, à l’hôpital de Dogubeyazit, petite ville de l’est proche de la frontière iranienne, le 10 janvier.
Les médecins ont pressé son père de les faire transférer immédiatement à l’hôpital de Van, aux infrastructures plus performantes. «Je n’ai pas de carte verte (ndlr: permettant un traitement médical gratuit selon le système de santé turc)», s’est lamenté son père. «Je ne peux pas aller à Van. S’ils doivent mourir, qu’ils meurent!» a-t-il lancé devant les télévisions. «Qu’on les soigne ici!», a-t-il ajouté.
Les deux enfants ont quand-même été emmenés à Van le jour suivant, mais une semaine après que les symptômes se soient déclarés, alors que le Tamiflu, médicament considéré comme le plus efficace à l’heure actuelle, doit être administré dans les 48 heures pour une action maximale. Fatma était âgée de 16 ans, mais de 12 ans seulement dans les registres officiels, car elle n’avait été déclarée à l’état civil que plusieurs années après sa naissance.
Une pratique répandue dans les zones rurales turques, où il est également fréquent que les filles ne soient pas déclarées du tout, ce qui évite par exemple d’avoir à les envoyer à l’école, la scolarité étant obligatoire à partir de 8 ans, ou encore qu’elle bénéficient d’une part d’héritage. Fatma, dont la mère est décédée et qui vivait avec sa belle-mère, n’était jamais allée à l’école.
Conscientes du problème, les autorités turques et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) ont lancé en 2003 un programme baptisé: «Allez les filles, à l’école!», dans l’est et le sud-est anatolien. En raison de la pauvreté et des moeurs patriarcales, près du tiers des filles en âge d’aller à l’école, soit 640.000 personnes, sont privées d’enseignement en Turquie, constatait alors l’Unicef.
Fatma pouvait donc se consacrer aux tâches ménagères: le premier jour de l’An, c’est elle qui a égorgé et découpé le canard du menu de fête, avec l’aide de son petit frère Muhammed. Le 4 janvier, les premiers symptômes se déclaraient chez les deux enfants. Le 10, le père les amenait à l’hôpital de Dogubeyazit. Sa courte existence s’est arrêtée le 15 janvier. Elle a été enterrée à côté de sa mère, dans le petit village de Sagdic.
Lematin