Les joyeux ou pénibles anniversaires doivent servir à quelque chose pour agir, rectifier les erreurs ou tirer simplement des leçons. En voici un que nous rappelons et dont peu de gens, en Algérie ou à l’ONU, se souviendraient. Le 16 mars 1976, il y a trente ans jour pour jour, les chefs historiques algériens MM. Lebjaoui, Houcine Aït Ahmed, Caïd Ahmed et Mohammed Boudiaf (restés à Alger) déclaraient dans un trac, distribué à Paris, qu’ils «dénonçaient le caractère criminel de la politique de Boumediene au “Sahara occidental“ et lançaient un cri d’alarme à tous les Algériens et algériennes pour qu’ils s’opposent à l’engrenage désastreux qui pourrait nous conduire à un affrontement fratricide». Ce cri d’appel historique émouvant, jaillissant de leaders algériens prestigieux, interpelle toujours, par sa portée et sa valeur. Stigmatisant la politique belliqueuse de Boumediene contre l’intégrité territoriale du Royaume, il reconnaissait indirectement la marocanité du «Sahara occidental». Faisons justement un arrêt sur «expression», puisque l’image est claire. L’expression «Sahara occidental» pour en faire le thème de cette note d’anniversaire.
L’injustice que semble subir le Maroc sur sa cause nationale qu’est le Sahara ne se limite pas seulement au fond du problème, elle touche également, depuis trois décennies, la forme même de la question. Passant du contenu à la dénomination. En effet, certaines personnes (morales et physiques) persistent -consciemment ou inconsciemment- à nommer « Sahara occidental » les provinces de Sakiat El-Hamra et Oued Addahab.
Cette injustice supplémentaire dans la qualification comporte une anomalie et une étrangeté sidérantes au regard de l’histoire et de la logique, notamment au niveau de l’ONU. Essayons d’y voir plus clair en faisant un rapprochement avec d’autres appellations territoriales coloniales comparables ayant connu un sort politique commun, mais juridiquement différent de celui du Sahara marocain. Le passé colonial de certains pays nous apprend que des Etats européens colonisateurs s’appropriaient les pays et les contrées dont ils s’emparaient par la force, non seulement territorialement mais aussi nominalement. Soit en modifiant totalement leurs dénominations d’origine, soit en y ajoutant un qualificatif possessif quelconque pour mieux les distinguer après annexion. Les exemples abondent. Limitons-nous à quatre pays du continent africain qui nous est le plus proche. Nous relevons alors les cas du Dahomey (futur Bénin), de la Haute-Volta (futur Burkina-Fasso), du Congo Brazzaville et du Congo Léopoldville (futur Zaïre). Retenons bien que Léopoldville (II) dont le nom fut attribué à ce territoire africain, avait fait reconnaître en 1885 comme étant sa propriété personnelle l’Etat indépendant du Congo, qu’il céda en 1908 à la Belgique. Le Roi Alphonse XII d’Espagne n’était pas allé aussi loin pour rebaptiser le Sahara marocain de «Sahara-Alphonse » à son détachement de la mère-patrie en 1884, et Franco estima moins arbitraire de lui accoler le qualificatif « espagnol ». Mais -nous l’avons vu- toutes les appellations coloniales étrangères des territoires précités ont été modifiées par des noms authentiquement africains. Quoi de plus normal ? Par conséquent, le nom «Sahara marocain» que doivent porter les provinces de «Sakiat El Hamra» et «Oued Addahab» après leur réintégration au Maroc selon les procédés qui furent appliqués en la matière, procède d’une logique transparente, soutenue par l’Histoire et par la réalité, quel que soit le critère justificatif adopté. C’est dire que le nom«Sahara occidental» ne devait plus être utilisé juridiquement à partir du 14 novembre 1975 pour désigner les deux provinces sahariennes précitées. Il aurait dû disparaître carrément des lexiques géographique et politique après le départ définitif des Espagnols. Que l’on considère ces deux territoires effectivement décolonisés au profit du Maroc ou que l’on adopte la vision erronée de certains esprits considérant encore le Maroc comme « nouveau pays colonisateur ». Et c’est par cette dialectique que l’on devrait examiner, objectivement, la question de la décolonisation de l’ex-« Sahara occidental » en discutant les deux thèses opposées. Pourquoi ? Pour soutenir davantage le bien-fondé de la libération juridique du Sahara en faveur du Maroc ou approuver la théorie désignant ce dernier comme nouvel « Etat occupant » après l’Espagne.
L’analyse sereine nous autorise à affirmer que le cas des provinces marocaines de Sakiat El-Hamra et Oued Addahab récupérées de l’Espagne que l’on continue d’appeler « Sahara occidental » constitue une anomalie flagrante et ne saurait se justifier sous aucun prétexte, sous aucun principe ni critère. Ni ceux du droit et des antécédents juridiques en la matière, ni même ceux de l’arbitraire et de l’occupation de fait que l’Algérie et le « Polisario » attribuent injustement au Maroc. Car celui-ci a réintégré pacifiquement l’ex-« Sahara espagnol » ou l’ex-« Sahara occidental » en vertu de l’accord tripartite de Madrid et des autres procédés onusiens, conformément à l’article 33 de la Charte des Nations Unies. Par quelle logique utilisait-on le nom de « Sahara espagnol » pour désigner les provinces de Sakiet el-Hamra et Oued Addahab durant leur administration coloniale par l’Espagne en écartant aujourd’hui l’appellation «Sahara marocain » après le retour de ce territoire au Royaume du Maroc dans le cadre de la décolonisation ?
Lesdites provinces sahariennes étaient bien reconnues comme marocaines par des conventions internationales signées entre l’Empire chérifien et des Etats européens aux XVIIIème et XIXème siècles avant l’occupation espagnole d’une part, et entre la France et l’Espagne avant le « Protectorat » français au Maroc d’autre part. Est-il juste et raisonnable d’accepter la transformation de l’appellation originelle « Sahara marocain » en « Sahara espagnol » à la fin du dix-neuvième siècle, en présence d’une Espagne usurpatrice, et rejeter l’appellation « Sahara marocain » au troisième millénaire, sous la souveraineté marocaine. Ce raisonnement s’applique également à l’appellation « Sahara occidental » puisque celle-ci équivalait à la dénomination « Sahara espagnol ». L’on se demande aussi pourquoi choisir la dénomination « Sahara occidental » après le départ définitif des Espagnols au lieu d’admettre l’appellation « Sahara marocain » ? Car même en adoptant comme critères les formes de présence politique, militaire et administrative dans les provinces de Sakiet El Hamra et Oued Addahab pour attribuer nominalement le Sahara à l’Espagne, indépendamment de la nature coloniale de cette existence multiforme, pourquoi ne pas appliquer les mêmes critères au Maroc dont la présence au Sahara, depuis 1975, repose sur les bases juridiques internationales que nous connaissons. Ainsi, de quelque côté que l’on tourne la question, elle s’exhibe obstinément par la facette de l’illogisme.
D’ailleurs, une remarque philosophique juridique interrogative s’impose à notre esprit. Voici sa formulation : nous comprenons que le nom « Sahara espagnol » puisse figurer dans la résolution 3292 (XXIX) du 13 décembre 1974, parce que dans cette même journée, l’Assemblée générale de l’ONU « entérinait la proposition de feu S.M. Hassan II concernant le recours à La Haye en demandant au gouvernement de Madrid de surseoir à son idée d’organiser un référendum au Sahara ». La question du Sahara demeurait encore juridiquement litigieuse entre Rabat et Madrid. Mais nous ne comprenons pas en revanche, que le même nom « Sahara espagnol » soit mentionné encore dans la résolution 3458 (XXX) du 10 décembre 1975 de l’Assemblée générale au lieu de «Sahara marocain» alors que, dans cette même journée, l’Assemblée générale de l’ONU entérinait l’accord tripartite de Madrid sur le Sahara par une majorité de 56 voix (42 contre et 34 abstentions). C’est-à-dire qu’elle approuvait le règlement juridique du conflit hispano-marocain. Il a fallu un retard de douze mois pour que l’ONU retirât le nom politique de «Sahara espagnol» de sa terminologie, non pas pour le remplacer juridiquement par «Sahara marocain» comme on le prévoyait (dans l’attente de savoir ce que voulait l’Algérie exactement), mais pour nous surprendre par le nom de «Sahara occidental» dans sa résolution 31/45 du 1er décembre 1976. Alors que les Espagnols avaient plié bagage depuis dix mois et que le nom « Polisario » ne figurait pas encore dans ses documents. Puisqu’il ne fut mentionné dans une résolution, pour la première fois, qu’à partir du 13 décembre 1978 (résolution 33/31). Voilà un mystère juridico-politique que l’on voudrait bien pouvoir déchiffrer.
En définitive, le territoire auquel renvoie le nom « Sahara occidental » n’existe plus juridiquement, politiquement et administrativement parce qu’il était synonyme de « Sahara espagnol » sous l’occupation coloniale. Son concept s’oppose diamétralement au droit, à la logique, au bon sens, à la réalité et à l’équité envers une nation et un Etat représentant le Maroc. C’est là encore une retouche à faire de la part de l’ONU pour remettre les pendules à l’heure.
• Par Pr. Issa Babana El Alaoui
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