Mais de là à aller jusqu’à puiser dans des formules quasi attentatoires pour jeter l’opprobre sur tout un pays et faire injure à tout un peuple, voilà qui laisse pour le moins perplexe. C’est pourtant la démarche choisie par l’hebdomadaire The Sunday Times qui, traitant de cette affaire, sujet bon marché en Grande-Bretagne au regard de l’émotion populaire qu’il a suscitée, a cru devoir placarder le Maroc et, à bride abattue, faire offense à son peuple, en insinuant sur la base du vide, que Madeleine McCann se trouve bel et bien au Maroc, pays réputé pour la prostitution des enfants, écrit-il sans vergogne.
Une telle affirmation, qui devait faire rougir son auteur, ne relève pas de simples noms d’oiseaux. C’est une diffamation à la limite, pourrait-on dire, des injures ordurières. C’est à croire que les territoires du Portugal et de Grande-Bretagne ont été passés au peigne fin, mètre carré par mètre carré, qu’ils ont été fouillés de fond en comble, maison par maison, en vain, et qu’il ne restait plus que le Maroc, évoqué sur la seule foi d’un témoignage individuel d’une touriste manifestement distraite, maladroitement corroboré par une photo extorquée par une autre touriste d’une petite fille marocaine innocente, coupable d’avoir une peau blanche et des cheveux blonds.
Le tout s’est révélé être une bourde grossière. Depuis quand des touristes se sont-ils substitués aux enquêtes policières et aux investigations judiciaires ? Aujourd’hui, les parents de la petite fillette marocaine s’élèvent contre la publicité planétaire de la photo de leur fille, un acte hautement préjudiciable pour les parents de la petite fille. Il s’agit là d’une grave incursion par effraction dans la vie familiale et privée d’autrui, une valeur que défend constamment la presse britannique bien pensante.
Un tout autre petit effort du Sunday Times, en travers bien entendu, et le Maroc se trouverait accusé d’intelligence avec les ravisseurs supposés de la petite Madeleine.
Les parents de la fillette britannique avaient été reçus au Maroc, où ils avaient été assurés de l’entier engagement des services de sécurité marocains à collaborer à l’enquête diligentée par plusieurs pays pour faire la lumière sur cette affaire.
La petite fillette avait disparu au Portugal, rappelle-t-on, mais les médias semblent jusqu’à présent privilégier la piste des témoignages fournis par des touristes, dont le dernier en date émanait d’une touriste espagnole, qui séjournait dans le nord du pays.
Des témoignages, comme on a pu le vérifier, peuvent paraître fantaisistes et qui, tous, déplacent le centre d’intérêt des médias vers un autre pays, voire un autre continent, distant de plusieurs centaines de kilomètres du territoire du Portugal, qui a été le théâtre de cette disparition, énigmatique et mystérieuse.
Enigmatique et mystérieuse, car en dépit des soupçons qui pèsent officiellement sur les parents de la fillette britannique, suspectés par la police portugaise d’avoir tué accidentellement la petite Madeleine, les médias européens, plus particulièrement britanniques, continuent de regarder plutôt vers l’Afrique, comme unique destination qui aurait pu accueillir cette fillette.
Pourtant, les soupçons des enquêteurs portugais sont sérieux. Les autorités portugaises viennent même d’interdire au couple britannique de s’adresser aux médias sur cette affaire. La police portugaise a de forts soupçons que le couple britannique soit responsable de la disparition de la fillette.
Ces développements auraient néanmoins laissé de marbre le journal britannique qui, au lieu de s’engager également sur cette piste, fondée sur une enquête de la police portugaise et non sur les témoignages de touristes, continue de s’entêter à croire à la seule histoire de rapt. Les assertions du journal sur la probabilité que la fillette disparue soit victime de réseaux de pédophilie ne pouvaient qu’ajouter à la peine et à la douleur des parents de la fillette.
Evoquer constamment la piste marocaine participe d’un acharnement contre le Maroc, où l’on doit retrouver coûte que coûte, aux yeux des médias européens, cette jeune fille britannique, disparue au Portugal. Dans de telles affaires, l’émotion doit céder à la raison, qui doit guider toutes les investigations, dans la transparence mais aussi dans la sérénité.
Ce n’était pas parce qu’il y a un épais brouillard autour de cette douloureuse affaire qu’un journal britannique soit autorisé à la traiter sous le prisme de la passion ou, plus grave, encore, sur la base de rumeurs sans fondement, sachant que la rumeur suppose plus qu’elle n’informe, et que dans la quasi-totalité des cas, elle contribue à brouiller les pistes.
Dans cette affaire, décidément, le Sunday Times n’est pas très loin de se mettre dans la stature de celui qui trouve à chaque problème, un coupable plutôt qu’une solution.
Abdelkrim El Mouss
MAP