Quelques dizaines de minutes plus tard, alors qu’il est à la tribune de l’ONU et prononce son allocution, un main pose discrètement sur le pupitre un petit papier : Le juge Pons cherche à vous joindre pour obtenir le code d’accès à votre ordinateur à votre domicile. Le ministre poursuit pourtant son discours, sachant les policiers chez lui, en présence de sa femme et de ses enfants.
A des milliers de kilomètres de là, au coeur de l’Elysée et de Matignon, on vient de replonger dans le souvenir traumatisant de l’affaire Gaymard. C’est juste après ce scandale qui a valu le départ précipité, le 25 février 2005, du ministre de l’économie que Thierry Breton a été nommé. Jacques Chirac sait alors qu’une affaire judiciaire vise ce dernier. Mais les explications de celui qu’il veut faire entrer au gouvernement depuis plusieurs mois l’ont convaincu. Trois mois plus tard à son arrivée à Matignon, Dominique de Villepin procède à ses propres vérifications et choisit de le garder dans son équipe.
Mais là… Quinze perquisitions en 48 heures dont deux visant directement M. Breton. Désormais, le président et le premier ministre observent inquiets la façon dont leur ministre se débat. M. Breton n’est pas dupe. Je me battrai de toutes mes forces car je souhaite montrer que quand on est dans la société civile on peut aussi dire la vérité a-t-il déclaré mercredi matin sur Europe 1.
C’EST FORMIDABLE, NON ?
De ses anciens collègues autour des tables du conseil d’administration de Rhodia et de Thomson Multimédia, M. Breton n’attend plus aucun réconfort. Ni les anciens dirigeants de Rhodia, Jean-René Fourtou, Igor Landau et Jean-Pierre Tirouflet, visés eux aussi par les perquisitions, ni les dix autres administrateurs de Rhodia, comme le prix nobel de physique Pierre-Gilles de Gennes, ne se sont manifestés pour lui apporter un message de soutien ou de solidarité. Le silence de Jean-René Fourtou, qui avait accueilli M. Breton dans le club patronal Entreprise & Cité, est sans doute celui qui le blesse le plus.
Alors, Thierry Breton dénonce, mardi soir, au Monde une manipulation invraisemblable qui donne la nausée . Mercredi matin sur Europe 1, il s’étonne encore d’être devenu – à lui seul – l’affaire Rhodia. Tout faire pour qu’il n’y ait pas une affaire Breton : le ministre veut s’efforcer de prouver qu’il n’est pas la cible directe et indirecte de la série de perquisitions menées, depuis lundi 27 juin, par les juges Jean-Marie d’Huy et Henri Pons.
Je n’étais qu’un des dix administrateurs, dont les plus grands noms de la finance et de la chimie , plaide le ministre. Et moi, à l’époque je n’étais ni le plus visible, ni le plus médiatique, ni le plus connu , poursuit-il. Quatre ans après je suis devenu ministre et par un coup de baguette magique, je suis devenu l’affaire Rhodia ! C’est formidable, non ? , s’indigne-t-il.
M. Breton désigne même les coupables : Il y a des financiers internationaux dont la spécialité est d’entrer dans le capital des sociétés en difficulté et d’en tirer le maximum de profits. Et de citer deux anciens actionnaires de Rhodia : Edouard Stern, assassiné dans la nuit du 28 février au 1er mars, et domicilié à Genève rappelle M. Breton ; et Hughes de Lasteyrie, domicilié en Belgique .
C’est effectivement sur les plaintes de ces deux hommes, déposées en 2003 et 2004, que les magistrats ont lancé leurs perquisitions. C’est aussi, affirment les avocats de M. Breton, sur la foi de leurs affirmations que les juges ont lié, au moins sur le plan chronologique, deux affaires : la déconfiture de l’entreprise Rhodia et la vente de Canal+ Technologies à Thomson Multimédia.
Dans les deux affaires, les plaignants mettent en avant le rôle joué par M. Breton, administrateur et président du comité d’audit de Rhodia jusqu’en 2002, et PDG de Thomson Multimédia jusqu’en septembre 2002. Autrement dit, ils semblent insinuer que la cession, à bas prix, de Canal + Technologies, a pu constitué un renvoi d’ascenseur pour avoir fermé les yeux sur la mise en difficulté de Rhodia par son ancienne maison mère. Dans le premier cas, M. Breton affirme avoir joué son rôle d’administrateur. Dans le second, il dit n’avoir jamais été en première ligne lors des négociations et qu’il n’en était plus le PDG au moment du rachat. Il ajoute avoir jamais eu aucun intérêt personnel dans les entreprises incriminées.
source:lemonde