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Le pétrole entre choc des prix et spectre de la pénurie

Le traditionnel optimisme de l’AIE, qui défend les intérêts des pays consommateurs de l’OCDE, commence pourtant à fléchir, comme le montrent ses appels à une relance des économies d’énergie (Le Monde du 4 avril). Des patrons de grandes compagnies pétrolières partagent cette inquiétude.

Dans le système pétrolier mondial, il n’y a pratiquement pas de capacité de réserve. Cela signifie que le système dans son ensemble n’est pas pour l’instant à l’abri d’un choc , a récemment prévenu le PDG de Shell, Jeroen van der Veer, appelant à l’exploration de nouveaux gisements.

En sommeil depuis le choc de 1979, le spectre de la fin du pétrole s’est réveillé. Au rythme actuel, les réserves seront épuisées dans quarante ou cinquante ans.

Un siècle et demi après l’extraction du premier baril américain (1859), la question n’est donc plus de savoir si mais quand surviendra le pic de production ­ ce moment toujours repoussé où la moitié des réserves prouvées aura été consommée et où s’amorcera un déclin probable de l’extraction (déplétion).

Chez Total, on envisage le pic vers 2025, tandis que l’AIE repousse l’échéance au-delà de 2030. Dès 2006 , pronostique le géologue Colin Campbell, ancien cadre de BP ; plutôt en 2015, corrige son collègue Jean Laherrère, ancien de Total. Les deux hommes avaient prédit, en 1998, la fin du pétrole bon marché , avant de fonder l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil).

Tout dépendra du rythme de la consommation et de la vitesse à laquelle les nouvelles réserves seront exploitées. Leur estimation est d’autant plus difficile que les pays producteurs n’ont cessé de les réévaluer à la hausse, notamment ceux de l’OPEP, qui pouvaient ainsi augmenter leurs quotas de production. Le dernier exemple est venu de l’Arabie saoudite, qui a annoncé, voilà quelques semaines, disposer de 200 milliards de barils de plus que ses 270 milliards de réserves officielles…

Ces annonces sont sans commune mesure avec les rares découvertes faites , estime Jean-Luc Wingert, auteur de La Vie après le pétrole (éd. Autrement). Il rappelle que les dix plus gros gisements mondiaux ont été découverts entre 1927 (Kirkouk, en Irak) et 1976 (Cantarell, Mexique).

Si personne ne croit à un nouvel eldorado moyen-oriental, les pays producteurs, les compagnies et les économistes sont, en général, plus optimistes que les géologues de l’ASPO.

Par prudence, on n’annonce jamais des réserves optimales lors d’une découverte, explique Yves Mathieu, chef de projet à l’Institut français du pétrole (IFP). En fait, on produit de 20 % à 40 % de plus qu’annoncé au départ. C’est ce qui se passe par exemple au Kazakhstan, où le potentiel du champ de Kashagan a été réévalué, de 7 milliards à 13 milliards de barils. Et il pourrait monter à 25 milliards !

Depuis des années, Exxon Mobil, Shell, BP ou Total s’inquiètent du renouvellement de leurs réserves. Ces majors ne cessent d’améliorer le taux de récupération de l’or noir : de 35 % d’un gisement en moyenne, il pourrait passer à 50 % dans quinze ans, selon l’IFP. Or une augmentation de 1 % sur l’ensemble des gisements exploités procurerait l’équivalent de deux années de consommation mondiale , a calculé Nathalie Alazard-Toux, directrice des études économiques de l’IFP.

Les experts de l’ASPO ne sous-estiment-ils pas l’importance des progrès techniques, qui permettront de repousser le peak oil ? L’imagerie du sous-sol et les forages ont fait des progrès énormes, note Jacqueline Lecourtier, directrice scientifique de l’IFP. A cela s’ajoute l’optimisation de la production, qui permet de suivre en temps réel le front des hydrocarbures.

Aux 1 000 milliards de barils prouvés pourraient ainsi s’ajouter 1 000 milliards de barils à découvrir, selon de nombreuses sources.

Les mêmes géologues de l’ASPO ne passent-ils pas un peu vite aussi sur le potentiel des nouvelles ressources, jusqu’ici considérées comme inexploitables ou peu rentables, mais qui le deviennent avec un baril durablement à plus de 50 dollars : huiles extra-lourdes (sables asphaltiques ou bitumineux…), offshore ultra-profond, gisements terrestres de grande profondeur ?

Les seules huiles extra-lourdes représenteraient l’équivalent de 4 000 milliards de barils. Avantage de tous ces gisements non conventionnels : ils se situent pour la plupart dans des pays hors du Moyen-Orient et de l’influence de l’OPEP.

Cette seconde vie du pétrole impliquera de lourds investissements, que l’AIE a chiffrés à 105 milliards de dollars par an, dont 70 % dans l’exploration-production, d’ici à 2030 .

Les plus optimistes assurent qu’un prix durablement élevé du pétrole rendra ces investissements rentables, poussera au développement de ressources alternatives et entraînera finalement un déclin progressif de la production.
source:lemonde

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