Un an après la «révolution orange» en Ukraine, la Russie de Poutine menace de couper le gaz à sa voisine. Dimanche à 10 heures, l’entreprise d’Etat russe Gazprom va-t-elle mettre sa menace à exécution ?
Depuis mercredi, les Mercedes noires de la délégation ukrainienne vont et viennent dans les rues de Moscou, avec pour espoir de trouver un accord. Faute d’une entente de dernière minute sur les prix du gaz appliqué à Kiev, le patron de la «mégacorporation», Alexei Miller, l’a répété : «Si dans les heures qui nous restent avant le début de l’année l’Ukraine ne signe pas de contrat sur les achats de gaz, les livraisons de gaz à l’Ukraine depuis le territoire de la Russie seront coupées complètement.»
Caméras de la télévision. A 10 heures, heure de Moscou, l’opération, qui consisterait, selon Gazprom, à «faire baisser la pression dans le gazoduc qui passe par le territoire ukrainien», pourrait même avoir lieu devant les caméras des télévisions russes.
Le géant du gaz affirme que les livraisons en direction de l’Europe ne seront pas affectées. Le gaz qui lui est destiné passe par le principal gazoduc, enterré dans le sous-sol de l’Ukraine. Les Ukrainiens sont normalement approvisionnés par des embranchements.
Selon des observateurs à Moscou, Gazprom sert de plus en plus au Kremlin d’instrument de politique extérieure. Un an après, cette entreprise d’Etat, qui possède entre autres des parts de la quasi-totalité des médias russes, serait en train de faire payer à l’Ukraine l’élection de Victor Iouchtchenko, puis son rapprochement avec l’Occident. Le Kremlin n’aurait toujours pas digéré que «son» candidat, Victor Ianoukovitch, ait fait les frais de la «révolution orange». Et tenterait par cette crise de soutenir à nouveau son camp pour les élections législatives de mars prochain.
A l’approche de la date fatidique, ces deux derniers jours, la guerre des mots entre les deux parties s’est intensifiée.
A Kiev, le Premier ministre ukrainien, Iouri Ekhanourov, a réitéré ses menaces d’augmenter le loyer payé par la Russie pour le maintien de sa flotte en mer Noire, dans la base de Sébastopol. De plus, il a affirmé que, quoi qu’il arrive, l’Ukraine serait en droit de prélever 15 % du gaz destiné à l’Europe. Un acte possible en théorie. Du «vol», selon Gazprom.
Herbe sous le pied. Par ailleurs, l’entreprise d’Etat a annoncé avoir passé un contrat avec le Turkménistan. Coupant l’herbe sous le pied ukrainien, la Russie achètera en 2006 30 milliards de mètres cubes de gaz au régime dictatorial de Saparmourat Niazov, soit presque la totalité de ses exportations. Un atout de plus pour faire monter la pression.
Vendredi après-midi encore, la Russie rejetait une proposition de Victor Iouchtchenko : le «gel» des prix jusqu’au 10 janvier. Le président ukrainien aurait ainsi souhaité faire reculer l’échéance, alors que du nouvel an au Noël orthodoxe (7 janvier) les deux pays fonctionnent au ralenti.
Ce rejet suit une autre tentative de compromis, initiée jeudi par le président russe Vladimir Poutine, mais également abandonnée : un prêt pouvant atteindre 3,6 milliards de dollars afin d’amortir le choc économique tant redouté par l’Ukraine. Mais Victor Iouchtchenko a indiqué que son pays n’avait pas l’intention de payer plus de 75 à 80 dollars les mille mètres cubes. Gazprom en demande de 220 à 230.
En attendant, l’Ukraine menace d’avoir recours à un arbitrage international. L’Union européenne discutera du problème le 4 janvier. Lors des douze coups de minuit, les carillons du Kremlin sonneront-ils la fermeture des vannes ? Moscou se plaît en tout cas à le faire croire.
Source : Liberation