Au Liban, l’opposition antisyrienne obtient la majorité

Pour la première fois depuis 1972, les Libanais ont pu se rendre aux urnes débarrassés de l’occupant syrien et désigner un nouveau Parlement dont la majorité est hostile à Damas. Pourtant, rien n’était véritablement joué en dépit de la victoire de l’opposition à Beyrouth lors du premier scrutin. Le vent a brutalement tourné lors du troisième tour, le 12 juin, quand le général Michel Aoun, allié à des personnalités proches de Damas, a remporté une victoire aussi massive qu’inattendue. Après quatorze années d’exil passées en France, la popularité du général maronite au sein de la communauté chrétienne libanaise s’est révélée plus forte que jamais, bouleversant l’échiquier politique du pays et menaçant, jusqu’à la dernière minute, d’empêcher l’opposition de devenir majoritaire dans le prochain Parlement.

De façon assez symbolique, l’une des dernières batailles électorales s’est déroulée à Tripoli, deuxième ville du pays en termes de population, située à quelques kilomètres seulement de la frontière syrienne et dont les liens avec Damas, économiques et familiaux, sont anciens, multiples et très profonds. De mémoire de Tripolitains, on n’avait jamais vu ça : pas un mur de la cité, jusque dans les dédales obscurs du vieux souk, qui ne soit recouvert de dizaines de posters de candidats. Les rivalités électorales se sont exprimées jusque sur les fils à sécher le linge, où les affiches côtoyaient et dépassaient en nombre les draps et les paires de chaussettes.

Durant la semaine précédant ce scrutin décisif, où se jouait l’attribution des 28 derniers sièges du Parlement, les deux camps en présence se sont livrés à une campagne acharnée et au ton très agressif. Misant sur la popularité dont jouissait son père au sein de la communauté sunnite majoritaire à Tripoli, Saad Hariri, installé dans un hôtel de la ville transformé en quartier général de l’opposition, a multiplié les meetings.

Son adversaire, le général Michel Aoun, dopé par son précédent succès, a lui aussi multiplié les apparitions et les déclarations enflammées. Les candidats se sont mutuellement accusés de s’être livrés à l’achat de voix, à des tentatives d’intimidation et d’avoir attisé les rancoeurs confessionnelles dans cette région où les musulmans (55 % de l’électorat, majoritairement sunnites) sont à peine plus nombreux que les chrétiens (45 % de l’électorat, à majorité maronite et grecque orthodoxe).

M. Aoun bénéficiait du soutien de l’ancien premier ministre démissionnaire prosyrien Omar Karamé, par ailleurs l’un des notables les plus influents à Tripoli. M. Karamé, qui a personnellement renoncé à se présenter comme candidat, a expliqué au Monde qu’il appuyait le général parce que c’est un homme de principes. Notre rapprochement n’est pas seulement électoral, nous avons déjà discuté de notre collaboration future dans cette lutte contre la corruption que nous voulons remporter ensemble . Interrogé sur ses liens avec la Syrie, il a affirmé ne plus être en contact avec le président syrien Bachar El-Assad, ajoutant cependant qu’il était idiot de penser que le départ de l’armée syrienne mettait fin à l’influence de la Syrie au Liban. Nos deux pays ne forment qu’un seul peuple. Personne ne parviendra à nous diviser .

OFFENSIVE DE CHARME

Ce genre de discours, inimaginable il y a quelques semaines, témoigne d’un regain d’assurance certain du clan prosyrien, demeuré jusqu’alors très discret. Non loin de Tripoli, dans le village chrétien de Zghorta, la candidate de l’opposition Nayla Moawad, épouse du président René Moawad, mort en 1989 dans un assassinat que les Libanais attribuent également à la Syrie, a évoqué une contre-attaque syrienne menée avec brio qui a tiré avantage des divisions inévitablement provoquées par le retour du général .

La remobilisation massive de l’opposition et l’offensive de charme menée sur le terrain par Saad Hariri ont néanmoins payé. L’ancien ministre libanais et député sortant prosyrien Soleimane Frangié a reconnu sa défaite. Michel Aoun, qui s’était allié avec M. Frangié, a exclu, pour sa part, toute entente avec la coalition de Saad Hariri. Il y a un problème de confiance entre eux et moi, entre le peuple libanais et eux, a-t-il déclaré. Il y a des divergences fondamentales sur les valeurs.

Cécile Hennion

source:lemonde

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