A Hébron, l’intifada des colons juifs radicaux contre les expulsions

LE VISAGE dissimulé par une cagoule, un gamin fait tournoyer sa fronde. Une pierre part en sifflant vers l’étage d’une maison palestinienne aux vitres déjà brisées. Les autres enfants et adolescents poussent des cris de joie quand le projectile ricoche à l’intérieur.

Leurs papillotes dépassant de leurs cagoules, le visage parfois seulement masqué d’un tee-shirt noué, en pantalon trop large et en baskets, les jeunes fouillent les débris qui jonchent la rue à la recherche d’autres projectiles.

Les portes de fer des magasins palestiniens, fermées depuis le début de l’intifada, ont été forcées par les jeunes radicaux, et des vêtements d’enfants sont répandus dans les flaques d’eau. Quelques flammes sortent encore d’un magasin incendié. Après avoir essayé en vain de forcer les barrières qui séparent l’enclave juive du centre d’Hébron de la ville palestinienne, les jeunes continuent à lancer des pierres contre les maisons arabes.

Cette intifada à l’envers, menée par des centaines de jeunes manifestants juifs radicaux, a été déclenchée samedi par l’annonce de l’évacuation prochaine de neuf familles de colons installées illégalement dans une partie du marché.

«Hébron n’est pas Gush Katif»

«La police ! La police !», crie tout à coup un petit. Les jeunes se dispersent en courant.

Deux policiers israéliens et quelques soldats arrivent, l’air excédé, mais n’interpellent aucun des jeunes manifestants. La veille, un militaire a été blessé par un jet de pierre et trois jeunes gens interpellés. Mais les jeunes radicaux affrontent la police en leur lançant des oeufs.

«Le délai fixé par le gouvernement pour que les neuf familles quittent leurs domiciles volontairement expire aujourd’hui, dit David Wilder, l’un des porte-parole de la communauté juive d’Hébron. Des jeunes sont venus d’un peu partout pour les soutenir. Le gouvernement doit comprendre qu’Hébron n’est pas Gush Katif (les ex-colonies juives de la bande de Gaza, évacuées cet été par l’armée israélienne) et ne se laissera pas évacuer de force.»

David Wilder déplore les heurts entre les jeunes colons et les forces de sécurité. «Nous ne sommes pas en faveur de la violence, mais nous ne contrôlons pas toujours très bien ces jeunes. Il y a un risque de voir la situation dégénérer», affirme-t-il.

Ces manifestations n’ont cependant pas l’air spontanées. Logés chez les colons d’Hébron, les jeunes activistes juifs continuent d’arriver par cars entiers.

Sur la place du marché, des tables ont été dressées, et l’on sert de la soupe chaude aux jeunes gens. Les filles sont en jupes longues et écharpes hippies. Les garçons ont parfois des kippas tricotées, symbole des nationalistes religieux, et des pantalons «baggy». La presse israélienne les surnomme les «jeunes des collines», ces colons militants occupant souvent les «implantations sauvages», parfois de simples caravanes posées au sommet des collines de Cisjordanie. Les familles concernées par l’ordre d’expulsion habitent de part et d’autre de la petite place, autrefois le marché aux légumes palestinien. Les magasins ont été transformés en habitations, et leurs devantures sont pleines de jouets d’enfant et de vélos.

Les neuf familles se sont installées dans les anciens magasins palestiniens peu après la mort, en mars 2001, de Shalhevet Pas, bébé de moins d’un an tué par un tir palestinien dans la rue voisine, et dont le nom a été donné au quartier. Sur une banderole déroulée sur l’un des bâtiments, un slogan invite les manifestants à «empêcher le gouvernement israélien de continuer l’oeuvre des assassins de 1929». Car Hébron, où seraient enterrés selon la tradition Abraham, Isaac, Jacob et leurs épouses, est à fois la deuxième ville sainte juive, mais aussi l’implantation israélienne la plus sensible. La petite communauté juive d’Hébron, protégée par un important dispositif militaire au coeur de l’une des plus grandes villes arabes de Cisjordanie, vit dans une référence constante à un passé ancien et souvent dramatique.

Les plus radicaux

En 1929, un pogrom lancé par les Arabes contre la communauté juive locale avait fait une soixantaine de morts, et conduit les Britanniques à déplacer les survivants. Après la conquête de la Cisjordanie pendant la guerre des Six-Jours en 1967, les premiers colons s’installent à Hébron, en revendiquant des droits séculaires sur la vieille ville.

Les colons d’Hébron figurent parmi les plus radicaux. L’extrémiste juif Baruch Goldstein, qui massacre au fusil-mitrailleur plusieurs dizaines de Palestiniens pendant la prière au tombeau des Patriarche en 1994, est originaire de la colonie voisine d’Hébron, Kiryat Arbat. Sa tombe y est toujours considérée comme celle d’un héros par certains militants radicaux. «Les juifs vivent à Hébron depuis plusieurs milliers d’années, dit Noam Arnon, le président de la communauté des colons d’Hébron. Les magasins que l’on nous ordonne d’évacuer ont été construits sur des terres juives. C’est une décision très grave.»

Alors qu’Ariel Sharon est toujours entre la vie et la mort, l’annonce par les autorités israéliennes de l’évacuation de quelques familles de colons dans un lieu aussi sensible qu’Hébron indique la détermination du gouvernement à ne pas céder aux menaces des colons les plus radicaux.

Lefigaro.

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