Un crime commis pour vingt dirhams

Tout le monde sait que le défunt, qui se prénommait Khaled, était d’une grande bonté, pieux, sympathique et qu’il jouissait d’une excellente réputation parmi ses amis, collègues et voisins. Khaled, trente-sept ans, père de famille était un employé sans problèmes. Jusqu’à ce soir fatal où son destin lui avait fait rencontrer Saïd. Khaled était rentré de son travail plutôt fatigué. Pour se changer les idées, il avait décidé de sortir faire un tour au centre-ville avant de retourner chez lui pour dîner et se coucher. Comment aurait-il pu se douter que cette soirée serait la dernière de sa vie ?

Khaled rencontre un ami qui l’invite à aller boire un café. Les deux hommes passent plus de deux heures à discuter de tout et de rien en regardant passer les gens. Il est vingt et une heures. Khaled se dit qu’il est temps de rentrer. Il prend congé de son ami et se dirige, à pied, vers son domicile. A mi-chemin, il croise un jeune homme qui a l’allure d’une jeune fille. Ce dernier remarque Khaled, s’approche de lui avec la visible intention d’engager la conversation. Mais Khaled tente de l’éviter. D’abord, il est pressé. Ensuite, il se méfie des inconnus qui l’abordent dans la rue, surtout s’ils ont une allure aussi étrange que celle-ci. Khaled presse donc le pas. Mais l’autre ne se décourage pas et le suit.

Khaled commence à paniquer. Il s‘imagine que son suiveur a l’intention de l’agresser. Il scrute la rue de tous côtés dans l’espoir d’apercevoir un policier. En vain. Il finit donc par décider d’affronter la situation, s’arrête là où il est et lorsque le jeune homme le rejoint, il lui demande sèchement : « Que me veux-tu ? » La réponse du jeune homme, nette et sans équivoque, le laisse bouche-bée: «Je veux coucher avec toi». Profitant de l’état de stupeur dans lequel Khaled vient d’être plongé, l’autre en profite pour se présenter : il a 28 ans, il s’appelle Saïd mais ses amis et ses clients l’appellent Saïda.

Issu d’une famille indigente, il gagne sa vie en se prostituant sur les grands boulevards du centre-ville casablancais. «Je racole mes clients principalement sur les boulevards Mohammed V, Anfa et Moulay Youssef, et dans les jardins du parc de La Ligue Arabe…», avouera-t-il d’ailleurs devant la cour.

Le soir où il a rencontré Khaled, Saïd n’avait pas eu de succès auprès de la clientèle homosexuelle. Pas le moindre sou en poche, pas de quoi s’acheter à manger. Une soirée pourrie. C’est pourquoi face à Khaled, Saïd met le paquet. Il déploie tous ses charmes pour tenter de séduire cet homme, du moins pour le convaincre de se laisser tenter par une passe à cent dirhams, un prix sacrifié… Pris de compassion pour ce malheureux garçon, Khaled lui explique qu’il n’est pas homosexuel et l’invite gentiment à passer son chemin. Mais Saïd est à cran. Il doit absolument se procurer de l’argent. C’est ainsi que lorsque Khaled fait mine de s’en aller, Saïd lui demande de lui donner vingt dirhams. Mais Khaled refuse. Saïd le menace alors de faire un scandale : «Je vais crier, la police arrive et tu seras considéré comme homosexuel…»

Hors de lui, Khaled repousse violemment Saïd. Ce dernier brandit alors le couteau qu’il dissimulait sous ses vêtements, avance vers Khaled et le blesse au visage. Par réflexe, Khaled repousse Saïd d’un coup de pied. Mais pas assez fort pour déstabiliser Saïd, qui s’est maintenu debout et se montre de plus en plus agressif. Au point de se jeter sur son client récalcitrant et de le frapper d’un second coup de couteau, auquel Khaled ne survivra pas.

La cavale de Saïd après l’assassinat ne durera pas bien longtemps. Il sera finalement appréhendé par les services de police et remis entre les mains de la justice. Pour se retrouver finalement face à des juges qui apprécient la valeur de son témoignage : «Je porte toujours un couteau sous mes vêtements pour me défendre la nuit… Je ne désirais pas le tuer, je voulais juste le menacer pour qu’il me remette vingt dirhams…»

Homosexuel et agresseur ? Oui, affirme le représentant du ministère public qui a requis une lourde peine contre le mis en cause. Non, tranche l’avocat qui a fait de son mieux pour faire bénéficier Saïd des circonstances atténuantes dans la mesure où il n’avait pas l’intention de tuer Khaled. La cour a dit son dernier mot : Saïd a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle. Un châtiment exemplaire certes mais qui ne compensera jamais, aux yeux de la famille et des amis de Khaled, la perte de cet homme qui ne méritait guère de finir ainsi.

Abderrafii ALOUMLIKI

Commentaires