Les étudiants en grève, c’est chose courante à Fès, Marrakech et dans tant d’autres universités marocaines. Une fac semblait à l’abri du phénomène : celle de Rabat Agdal dont les étudiants ont la réputation d’être privilégiés et donc peu contestataires. Ce temps est visiblement révolu.
Des grèves au sein de la faculté de droit et d’économie ont conduit à l’annulation des examens qui devaient se dérouler début janvier.
Depuis, même si le calme est revenu, il est précaire, de l’avis d’étudiants et de professeurs.
La « crise » a commencé en décembre, après l’annonce de la date des examens semestriels fixée au 3 janvier.
Plusieurs étudiants ont demandé un report, assurant que les cours avaient commencé trop tard.
Certains parlent de novembre, alors que le doyen Lahcen Oulhaj affirme qu’ils ont débuté en septembre. Quoi qu’il en soit, ce dernier a refusé de reporter les examens, assurant que ce décalage pourrait se répercuter sur les semestres suivants.
Il refusait en outre de répondre aux revendications des islamistes de l’association de Cheikh Abdessalam Yassine, Al Adl Wal Ihssane, qui ont pris la tête de la contestation. La colère n’a cessé de monter.
Examens perturbés
Plus de la moitié des étudiants se seraient toutefois présentés pour passer les examens le premier jour. Mais les grévistes en ont empêché d’autres d’entrer dans les amphithéâtres.
Ces derniers ont accusé le doyen d’avoir lâché des chiens des services de sécurité contre eux, qui auraient blessé deux étudiants.
De leur côté, des responsables de l’université, parmi lesquels Lahcen Oulhaj, ont assuré que des islamistes se sont attaqués physiquement à ceux qui voulaient passer les examens.
Certains auraient ainsi giflé une jeune fille voilée et lui auraient dit qu’elle n’avait pas le droit de les passer, ajoutant qu’elle était leur « propriété », puisque qu’elle portait le hijab.
Bref, dès le deuxième jour, les examens ont été annulés, l’administration jugeant qu’il n’était pas possible d’assurer leur bon déroulement et la sécurité des étudiants. Finalement, ils auront lieu en février et mars alors que les cours du deuxième semestre ont déjà commencé. Voilà pour les faits.
Les analyses divergent selon que l’on donne la parole à des étudiants, au doyen ou à des professeurs.
Le rôle des islamistes, surtout, ne fait pas l’unanimité.
Pour Lahcen Oulhaj, ils sont à l’origine de toute l’affaire. Il parle d’un groupe de 14 personnes, membres d’Al Adl Wal Ihssane, qui avait pour « unique objectif de semer le trouble ».
Cela entrerait dans le cadre de la stratégie de l’association pour déstabiliser le Maroc en 2006.
« Ce ne sont pas du tout les dates des examens qui les préoccupent. Ils ont sauté sur ce prétexte parce qu’ils savaient que ça allait être mobilisateur », assure M. Oulhaj. D’après Nidal, une étudiante gréviste, qui fait partie de l’Association marocaine des droits humains, « La grève a mobilisé la majorité des étudiants.
Il y avait de nombreux progressistes », assure cette jeune fille en 3ème année d’économie. « Les islamistes sont nombreux et bien organisés, mais ce n’était pas leur grève ! », selon Nidal. Elle reconnaît toutefois qu’ils ont empêché certains étudiants de passer les épreuves…
Démotivation
Pour Mohamed Madani, professeur de sciences politiques, « C’est évident, l’association Al Adl Wal Ihssane est la seule force qui compte dans les universités marocaines.
Elle n’a pas de concurrence depuis que les partis de gauche ont déserté ».
Il est cependant opposé à ce qu’on attribue les grèves exclusivement à cette association.
« Les étudiants islamistes ont orienté le mécontentement ambiant », estime-t-il. « Si les étudiants étaient vraiment bien dans leur peau, cette affaire des examens n’aurait pas pris cette ampleur », ajoute M. Madani qui estime que les grèves ont révélé une crise plus profonde au sein des facultés. Ce professeur, ainsi que l’étudiante et le doyen, parlent de la difficulté à mettre en place la semestrialisation imposée par une réforme il y a plus de trois ans.
Cette nouvelle organisation a révélé un manque de professeurs.
En outre, près d’une cinquantaine d’enseignants ont quitté la faculté, profitant de l’opération « Départ volontaire ». Les classes sont surchargées, les salles de cours manquent.
M. Madani parle en outre d’un « appauvrissement des étudiants : les budgets sont coupés, les bourses réduites », déplore-t-il.
Plus grave encore : le manque de perspectives pour tous ces étudiants. « Très peu vont être acceptés dans des masters. Or qu’est-ce qui attend les licenciés ? Le SMIG ou le chômage », croit savoir Nidal, dépitée. « Comment les étudiants pourraient-ils être optimistes quand ils voient les diplômés chômeurs manifester tous les jours depuis des années ? », demande M. Madani. « On parle d’adapter l’université au marché de l’emploi. Mais quel marché ? Les entreprises familiales ? », demande le professeur. « Ce ne sont pas les jusqu’au-boutistes qui m’inquiètent mais le fait que même les étudiants sérieux soient démotivés », ajoute-t-il. Mohamed Madani n’est visiblement pas optimiste pour le système universitaire.
Comme tant d’autres, il ne sait pas si les examens auront vraiment lieu.
Nidal pense à une nouvelle grève. Enfin, les islamistes ne devraient pas avoir de mal à trouver des éléments mobilisateurs pour leurs manifs, même dans la fac de l’Agdal.
Lejournal.