Rochdi Chraïbi le favori du moment

« Rochdi chraïbi n’est pas le nouvel homme fort du palais, c’est tout simplement le personnage qui a le vent en poupe ». Cette phrase, susurrée par un fin connaisseur des arcanes du palais, traduit les nouvelles attributions en termes de pouvoir des membres du premier cercle royal. L’homme qui a fait les frais de cette montée en puissance du directeur du cabinet royal est sans conteste Fouad Ali El Himma. Il y a un peu moins de six mois, le ministre délégué à l’Intérieur avait proposé une liste de nominations censée donner un nouveau souffle à la dynamique hésitante de la politique royale. Une liste qui sera partiellement refusée par le monarque. A l’origine de ce refus, un nom sur la liste des personnes proposées : Nouredine Benbrahim. Homme de Basri, El Himma voulait le proposer à la tête de la Direction des études et des analyses du ministère de l’Intérieur. Ce sera le premier signe du recul de celui que d’aucuns qualifiaient d’homme fort du régime.

Au palais, les places sont chères et le pouvoir conféré est relatif au degré de confiance et de promiscuité avec le souverain. Cette relative disgrâce d’El Himma, qui se serait opposé à certaines lignes directrices prônées par d’autres membres du cercle royal, un homme va en profiter. Mohamed Rochdi Chraïbi, qui sort d’une longue mise au placard qui aura duré deux ans (de 2002 à 2004) pour une affaire relevant du domaine privé, va émerger subrepticement. Le directeur du cabinet royal retrouve ainsi sa place au soleil. C’est lui qui a proposé la liste des nominations du 22 juin, une liste acceptée par le souverain.

La « Chraibi’s touch »

L’empreinte de Rochdi Chraïbi est manifeste. Les petits réglements de comptes et vieilles rancoeurs en témoignent. Premier visé, Meziane Belfqih qui voit la wilaya de Tanger échapper aux hommes de son clan. Hallab, l’ancien wali, était un affidé du conseiller royal, qui, par son contrôle du chantier Tanger-med, chapeaute de fait la région. Homme de réseau, Belfqih s’appuie pour cela sur des proches. L’ex-wali Hallab en faisait partie. Or, Hassad qui le remplace, n’est pas de ceux-là. Placé il y a quelques années par Meziane Belfqih à la tête de l’ODEP, ce dernier avait vu d’un mauvais œil l’ascension surprise de son protégé, nommé quelque temps plus tard ministre de l’Equipement. La relation entre les deux hommes s’en était ressentie. La nomination de l’ancien wali de Marrakech, dont la réussite dans la ville ocre a été mise en avant pour justifier sa nomination à Tanger, permet donc à Rochdi Chraïbi de décocher un coup de pied « en douceur » à Belfqih. L’inimitié que se vouent les deux hommes est de notoriété publique. Elle a connu son apogée lors de l’investiture de l’ami intime de Rochdi Chraïbi, l’istiqlalien Bouameur Tighouane, à la tête du ministère de l’Equipement dans le gouvernement Youssoufi. S’en était suivie une purge sans retenue visant les « hommes » de Belfqih. Karim Ghellab, par exemple, avait été limogé sans ménagement du ministère avant de rejoindre l’ONCF. Mais pire que cela, Tighouane, dont on a toujours pensé qu’il était téléguidé dans l’ombre par Rochdi Chraïbi, aurait sorti des tiroirs une sombre histoire de terrain, visant à compromettre le conseiller royal. Depuis cet incident, pour les hommes du clan Belfqih, il ne faisait aucun doute que Rochdi Chraïbi voulait la peau de leur parrain. Les récentes nominations le leur rappellent. Pour renforcer son aura, le directeur du cabinet royal n’hésitera pas à affaiblir les pouvoirs concentriques qui s’agitent autour de la personne du roi. A commencer par le Premier ministre.

Décharner la primature

La nomination de Mohamed Ibrahimi comme wali de la région de l’oriental est un véritable soufflet à l’adresse de Driss Jettou. Véritable cheville ouvrière de la primature après avoir été l’homme des élections législatives à l’Intérieur, son départ affaiblit sérieusement une institution qui souffre de plus en plus de sa mise à l’écart des affaires. Mohamed Ibrahimi était le guide du Premier ministre dans les méandres de l’appareil d’Etat marocain. Estimé par El himma qui a tout fait pour le dissuader de démissionner de son poste de directeur des collectivités locales au ministère de l’Intérieur à la suite d’une brouille avec Mohamed Midaoui (alors ministre de tutelle), sa nomination affaiblit de fait le cabinet Jettou. Un Premier ministre qui n’a pas été informé du départ de son bras droit, le principal concerné n’a eu vent de la nouvelle qu’après la diffusion officielle de la liste des nominés. Une liste dont feront partie des invités surprise. Le premier est un enfant de Dar Al Makhzen.

Hassan Aourid a-t-il également fait les frais de la solide inimitié que lui voue le directeur du cabinet royal ? Certes, le nouveau wali de Meknès Tafilalet était demandeur de nouvelles attributions. La charge de porte-parole du Palais royal, qui lui avait été confiée dès l’investiture du nouveau monarque, s’est révélée être un coup d’épée dans l’eau. Chantre de l’amazighité au palais malgré l’échec de la tentative de cooptation du mouvement berbère par la création de l’IRCAM, le porte-parole s’était ces dernières années largement consacré au développement de sa région d’origine, le Tafilalet, zone extrêmement sensible et dont les relations avec la monarchie ont toujours été conflictuelles. Au cours de ses régulières pérégrinations dans la région, il a toujours agi dans le but de réconcilier Dar El makhzen avec la population. En jouant de son influence, Hassan Aourid avait pu faire rétablir la ligne aérienne Casa-Errachidia supprimée par la RAM pour des raisons de rentabilité. Aurait-il pu le faire en tant que wali ? Rien n’est moins sûr. Car sur le terrain, un wali a moins de marge de manoeuvre qu’un homme « habillé » du blason « Makhzen ».

Le risque est donc gros pour Hassan Aourid. Ce qui n’a pas dû échapper à Rochdi Chraïbi qui ne le porte guère dans son cœur. Leur relation conflictuelles avait éclaté au grand jour en 2000, avec la publication du « manifeste amazigh » (charte revendicative) qui a provoqué un coup d’arrêt dans la maîtrise du dossier berbère par l’ancien porte- parole du palais (cf.portrait). Ce document-surprise provoquera la colère du roi qui, en toute connaissance de cause, mandatera Rochdi Chraïbi pour « surveiller » Aourid lors d’une réunion de conciliation à laquelle participait, au nom du mouvement berbère, Mohamed Chafiq.

Rien d’étonnant à voir la patte de Chraïbi derrière la nomination d’Aourid qui permet dans le même temps, et c’est l’autre surprise des nominations, d’épurer en douceur les voix quelque peu dissonnantes au sein du cabinet royal. Mohammed Kabbaj en est l’autre victime.

Kabbaj est-il capable de repenser Casablanca ?

L’ancien conseiller aux affaires économiques est ainsi nommé Wali de Casablanca. Vivotant au cabinet royal sans réelles attributions depuis quelques mois, il ne cachait pas ses appréhensions quant à l’inquiétude du monde des affaires casablancais face à l’apathie économique. Et ce discours, à Rabat, fatigue. Particulièrement la jeune génération qui a dû prendre un malin plaisir à voir envoyer au charbon les « donneurs de leçons ». Une manière de dire « montrez-nous votre savoir-faire face à la rétive classe économique casablancaise ». Autant dire que la mission à Casablanca de Mohamed Kabbaj sera de rassurer des investisseurs de plus en plus sceptiques. Ce « bourgeois gentilhomme » sera-t-il capable d’affronter les peu commodes lobbies casablancais. Rien n’est moins sûr. Car finalement, outre les petites histoires individuelles, la grande leçon à retenir est l’incapacité du nouveau règne à définir clairement la fonction de Wali. Explications : avec l’intronisation du roi Mohammed VI, le message a été clair dès les premiers mois de règne. Plus question de gérer la chose locale à la manière Basri. En 2001, la nomination de techno-walis laissait penser qu’en parallèle, l’ensemble de la maison « Dakhilia » allait être réformé. Quatre ans plus tard, il semble que dans les faits, on se soit contenté de changer le profil des hommes sans réussir à bouleverser en profondeur les structures de la maison. Qu’aujourd’hui on explique que la nomination à Casablanca de Mohammed Kabbaj est liée à la mise en place de l’Initiative de développement humain est très probablement sincère. Mais c’est se méprendre sur la fonction de wali, qui relève d’une institution dont la mission est de veiller à faire respecter l’ordre. Et aujourd’hui, au sein de « Dakhilia », beaucoup pensent encore que développement humain et sécurité ne font pas bon ménage. Kabbaj prendra-t-il le risque de s’opposer à ces forces d’inertie ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs le fait qu’à Rabat, des cadres du ministère formés à l’école Basri aient été promus est un aveu implicite de l’incapacité à repenser l’institution.

Reste des lectures plus pragmatiques. Celles-ci, aussi insolites qu’elles paraissent, reçoivent pourtant un certain nombre de suffrages. A l’annonce des nominations, et notamment celle de Mohammed kabbaj, des observateurs avertis en ont fait une lecture plus cynique. « C’est beaucoup plus trivial que tout cela », assure ce proche du premier cercle. « Au cabinet royal, le sureffectif est patent. Le départ de Kabbaj va libérer un bureau et de la place pour les nouveaux venus ». Car dans les couloirs du palais, ils sont un certain nombre de jeunes membres de l’entourage à ne pas avoir d’espace de travail.

Reste le cas El Himma, le ministre délégué à l’Intérieur doit observer ce remue-ménage avec circonspection. En cas d’échec de l’ingénierie du Makhzen version Chraïbi, il pourrait revenir en force. Le Makhzen est versatile et ce n’est pas lui qui contredira cette assertion. En six ans de règne, 4 ministres de l’Intérieur se sont succédé, autant de walis pour Casablanca. La vision n’est pas claire. Elle repose sur ce postulat distillé par ce fin connaisseur du makhzen : « je change donc je suis ».

source:lejournal-hebdo

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