Ce jour-là, il avait rendez-vous avec deux commerçants dans un petit restaurant de la région. Des hommes avec lesquels il est en affaire depuis longtemps et qu’il connaît fort bien. L’objet de leur rencontre : solder le compte d’une transaction commerciale portant sur un chargement de légumes. Après avoir écoulé la totalité de la marchandise, ils lui avaient fixé rendez-vous pour le payer et, profiter de l’occasion, pour parler commerce. En s’attablant, ils ne firent donc pas attention aux trois hommes qui étaient à côté et qui portaient tous des costumes et des cravates bleu nuit, des chemises bleu ciel, des chaussures noires et des lunettes de la même couleur. Même la Clio qu’ils avaient garée à l’entrée du restaurant était noire. Occupé à discuter sur les prix, il n’a pas remarqué que ces drôles de voisins semblaient s’intéresser outre mesure à ses compagnons : deux barbus que l’on croirait fraîchement débarqués d’Afghanistan. A preuve, les hommes en noir ne les quittaient pas des yeux. Quand il a reçu de l’argent des mains de l’un de ses compagnons de table, il les vit discuter longuement en le désignant du doigt. Le connaissaient-ils ? Il a eu beau fouiller dans ses souvenirs, il n’en a aucune souvenance. Ceci d’autant plus qu’ils n’avaient pas l’air d’être versés dans le commerce des légumes. Alors que cherchaient-ils ? Il ne tardera pas à le savoir. Une fois qu’il a quitté le restaurant, il les vit héler le garçon, payer rapidement l’addition et se diriger vers leur voiture. Deux d’entre eux sont montés dans la Clio alors que le troisième l’a suivi à pied. Une fois à sa hauteur, il lui a ordonné de s’arrêter. «Je suis officier de police et je suis là pour enquêter avec toi sur une affaire d’hébergement de membres de la Salafia Jihadya», lui a-t-il dit en le sommant de l’accompagner vers la voiture.
Abasourdi, Abdelaziz s’est contenté de le fixer sans mot dire et d’obtempérer. Que pouvait-il lui répondre, lui, qui ne sait de la Salafia Jihadya que ce qu’il en a entendu dire à la télévision. Tout au plus était-il certain de ne jamais avoir hébergé un salafiste, ni d’avoir des amis au sein de cette secte, ni d’en avoir rencontré un seul membre. Tout est brouillé dans ses pensées qu’il a accompagné l’homme en noir jusqu’à la Clio. Les deux autres hommes accoutrés comme leur collègue s’y trouvaient. L’un d’eux qui s’est présenté à lui comme le commissaire, chef de la brigade, lui a demandé de dévoiler tous les noms des salafistes qu’il héberge chez lui. «Je suis un commerçant de légumes et je n’héberge personne chez moi…», lui a-t-il répondu. Ce qu’il n’a pas voulu croire puisqu’il a ordonné qu’il soit fouillé. Le faux policier qui s’en est chargé a vite trouvé la somme de 6500 dirhams que l’un des barbus avec lesquels Abdelaziz est en affaire lui a remise. «Est-ce la somme que t’a remise l’un des deux barbus qui sont partis chercher les salafistes que tu vas héberger chez-toi ?», lui a demandé le faux commissaire sur un ton sec. Voyant le piège se refermer sur lui, Abdelaziz a commencé à les supplier de croire qu’il n’est pas membre de la Salafia Jihadya et qu’il n’héberge aucun salafiste chez lui. En guise de réponse le soi-disant commissaire a sorti son portable de sa poche avant de composer un numéro et d’ordonner une descente de police dans le restaurant. Par la suite, le chauffeur de la Clio a démarré en informant Abdelaziz qu’ils sera gardé dans les locaux du Caïdat de Loudaya pour être interrogé. «Si tu veux coopérer avec nous on peut t’aider…», lui a-t-il néanmoins lancé. Comment doit-il coopérer avec eux ? N’en pouvant mais, il lui proposa de prendre les 6500 dirhams et de le laisser partir. «On va voir», lui a-t-il répondu en empochant l’argent. En s’approchant du Caïdat, il lui a demandé de descendre, ce qu’il a fait avec diligence. Mais en voyant la voiture passer devant le Caïdat de Loudaya sans s’arrêter, il a eu un doute : et s’ils n’étaient pas de vrais policiers ? Pour en avoir le cœur net, il s’est empressé vers la brigade de la gendarmerie royale pour raconter son histoire. Après avoir pris acte de sa déclaration, le responsable du poste alerta toutes les brigades de la gendarmerie royale implantées entre Agadir et Essaouira. Une alerte qui a donné quelques heures plus tard ses fruits puisque le trio d’escrocs a été appréhendé par les gendarmes d’Imintanoute. L’enquête a révélé qu’ils sont issus tous les trois de Casablanca, qu’ils sont pères de familles, qu’ils se prénomment Boujemaâ, Khalil et Mohamed et qu’ils sont respectivement âgés de cinquante-neuf, cinquante et quarante-huit ans. Mohamed, repris de justice et escroc notoire, est le cerveau de cette bande qui a ciblé au départ des charlatans, à Safi, Marrakech, Agadir, Taroudant et Larache. Leurs victimes n’ont pas été choisies au hasard : les charlatans ne peuvent en aucun cas déposer plainte puisqu’ils se livrent eux-mêmes à des activités illégales. Selon l’enquête de la gendarmerie, les escrocs ont extorqué plusieurs centaines de milliers de dirhams à leurs victimes. Ils circulaient toujours à bord de voitures de location.
Le faux commissaire et les deux faux officiers de police ont été traduits devant la justice à Marrakech.
Abderrafii ALOUMLIKI
Aujourdhui.ma