Mardi 13 décembre 2005, rue Hamman Chlieh, Salé. Adil Ziyati et son ami Abderrahmane sont au coin de la rue en train de bavarder. Adil Ziyati est en possession d’une bouteille de vin et son copain lui propose de le ramener chez lui sur sa mobylette. Adil accepte mais Abderrahmane doit d’abord prévenir sa mère. Il entre dans une cabine publique, et au moment où il est en train de composer un numéro, il voit surgir une voiture des GUS (Groupes urbains de sécurité) suivie de deux motos. Il sort de la téléboutique et voit son ami s’enfuir, poursuivi par une des deux motos. « Adil voulait s’engouffrer dans une petite rue, racontera Abderrahmane dans son témoignage. Mais comme c’était une impasse, il a fait demi-tour. La moto était juste derrière lui et le policier qui la conduit lui envoie un coup de pied lui faisant perdre l’équilibre ». Toujours selon le témoignage de Abderrahmane et celui d’une source policière, le motard lui aussi perd l’équilibre et l’engin heurte Adil Ziyati. « C’est vrai à un détail près, poursuit Abderrahmane. Le policier a redressé sa moto avant de la lâcher une seconde fois pour écraser Adil. C’est à ce moment là que les autres GUS sont arrivés et l’ont roué de coups avec leurs matraques et leurs bottes ».
Adil Ziyati sera d’abord conduit à l’hôpital Moulay Abdallah de Salé pour y recevoir les premiers soins. Selon El Mokhtar Nahal, membre du bureau de l’Association Marocaine des Droits de l’Homme (AMDH), le médecin de garde, après une rapide consultation, a conclu que Adil Ziyati n’avait rien de grave et l’a renvoyé chez lui. Ce n’est que trois jours plus tard, alors que son état s’est sérieusement aggravé, que la famille a décidé de l’hospitaliser.
Quinze jours plus tard, le samedi 31 décembre 2005 à 16h30, Adil Ziyati succombera à ses blessures.
Le témoin
Devant le bureau du procureur de la Cour d’appel de Salé, Abderrahmane attend son tour. La vingtaine, le regard triste et l’air apeuré, le jeune homme est accompagné de deux membres de l’AMDH ainsi que de deux avocats. En cette matinée du mercredi, Abderrahmane a enfin décidé de suivre les conseils de l’Association et de se plaindre de la pression et des intimidations qu’il subit de la part de policiers depuis la mort de son ami et depuis qu’il a décidé de témoigner.
« Ils n’arrêtent pas de m’appeler sur le portable depuis que Adil est mort. A chaque fois, ils me demandent de me rendre au commissariat. Si ce n’est pas pour savoir si mon témoignage tient toujours, c’est pour s’assurer qu’il concorde avec la version de la veille ». A aucun moment, Abderrahmane n’a reçu de convocation, mais dès que quelqu’un l’appelle, il se présente devant la police. « L’autre jour, les GUS m’ont trouvé devant chez moi. Ils m’ont pris les papiers de ma mobylette et ils sont partis. J’ai mis trois jours avant de les récupérer. Une fois au café, alors que j’étais attablé avec des amis, un civil est entré et m’a fait signe de le suivre dehors. Il a contrôlé mon identité et au moment de me rendre ma carte nationale, il m’a conseillé de me calmer ».
Abderrahmane n’a toujours pas été reçu par le procureur. Dans le sous-sol du tribunal où se trouve son bureau, avocats et membres de l’AMDH tentent de rassurer le jeune garçon qui parle même de se rétracter et évoque l’état de santé fragile de sa mère. La porte qui donne sur l’extérieur s’ouvre et un GUS en uniforme entre. Il regarde autour de lui pendant un moment puis ressort.
Quelques instants plus tard, un homme habillé en civil pénètre à son tour dans le bâtiment. D’un signe discret, il demande à Abderrahmane de le rejoindre dehors. Celui-ci s’exécute et les deux membres de l’Association lui emboîtent le pas. Dehors, la discussion est très courtoise. L’homme en question se trouve être un officier de police et il essaie de calmer le jeune homme en lui disant que s’il témoigne, qu’il le fasse en son âme et conscience. Comment ce policier a-t-il su que Abderrahmane allait déposer plainte ce même jour auprès d’un procureur du roi ? Les membres de l’AMDH sont les premiers surpris et l’un d’eux glissera : « Il a peur que le témoin porte plainte contre lui, c’est pour cela qu’il est venu ». Avant de laisser Abderrahmane retourner devant le bureau du procureur, l’officier le rassurera encore une fois et lui promettra que dorénavant, plus personne ne viendra l’embêter.
L’opinion publique
A Salé, les gens se sentent de moins en moins en sécurité et l’abus de pouvoir et les exactions des GUS sont totalement inacceptables. Pour le citoyen, l’image que la police ou la télévision veulent donner du GUS exemplaire est fausse et très loin de la réalité. « Police Magazine et les télévisions nous montrent des GUS souriants au service du citoyen… Venez dans mon quartier voir comment ils traitent les gens », dira ce jeune étudiant. Dans la rue, les gens se plaignent de cette police de proximité et tout le monde garde encore en mémoire ces ouvrières de la société Top Wear à Salé qui ont eu droit à une bastonnade de la part des GUS en août dernier. Tout le monde parle aujourd’hui des excès de zèle de Laâyoune et de Tantan. Au début, les gens ne comprenaient pas pourquoi les agents des Groupes urbains de sécurité malmenaient les citoyens qu’ils contrôlaient dans la rue. « On se disait, avoue ce vendeur ambulant, que c’était à cause du terrorisme et qu’ils étaient un peu nerveux, c’est tout. Mais plus le temps passe, plus on les laisse faire et plus ils deviennent dangereux. On nous dit que cette police a été créée pour protéger le citoyen, j’ai l’impression qu’on a affaire à des monstres ». Pour El Mokhtar Nahal de l’AMDH, ces abus doivent cesser « Nous recevons tout le temps des plaintes de gens qui se font agresser par les GUS. Sous prétexte de contrôler leur identité, ils leur prennent leur argent, leur portable et pour les plus récalcitrants, ils vont même jusqu’à leur glisser un petit motif dans la poche de leur pantalon ».
Une police de proximité au service du citoyen. Un peu trop proche selon la population qui s’inquiète sur son propre sort.
Boujdour.