C’est le propre d’une campagne à la fois fluide et limitée paradoxalement par le fait de la multitude. Assurés de leur score, d’aucuns se sont d’ores et déjà proclamés vainqueurs, ne laissant aucun doute méthodique sur les résultats définitifs. C’est le cas du Parti de la justice et du développement (PJD) qui proclame à tout bout de champ gagner plus de 70 sièges, ne laisse aucun espoir aux autres partis, s’érige forcément – le relais d’une certaine presse nationale et internationale aidant – en formation leader…
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la partie politique du 7 septembre, avant d’être gagnée par l’un ou l’autre, relève d’une grande incertitude. C’est la loi des scrutins, elle constitue l’inconnue de l’équation. D’autant plus qu’aucun sondage scientifique, fût-il rigoureux et extrêmement précis, n’est venu, n’existe pour corroborer telle ou telle inclinaison politique. Sauf à sacrifier aux pronostics – qui n’engagent que ceux qui s’y livrent -, rien n’est moins sûr, on l’a dit, dans l’élection d’aujourd’hui que l’inconnue mathématique.
Toujours est-il que USFP, Istiqlal, Mouvement populaire, RNI, PJD, PND ou autres, la victoire de l’une ou l’autre de ces formations sera la victoire de la démocratie et du Maroc de Mohammed VI. Cette vérité, pour une fois, ne relèvera pas de La Palice, elle traduit une réalité intangible du nouveau Maroc, conforte aussi la volonté proclamée de transparence et de rigueur.
Peu importe les commentaires qui suivront, les conclusions qui seront tirées après-coup, les craintes exprimées par devers une évolution irréversible et même, a contrario , les profusions de joie de ceux qui seront portés au pinacle. Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve ! . Le précepte, empreint d’une profonde sagesse, est de Friedrich Hölderlin, poète allemand du XVIIIème siècle, disciple de Goethe. Si une telle parole peut servir de viatique, voire d’argument pour l’un ou l’autre des partis engagés dans la bataille, elle constitue une dimension imparable aux yeux des électeurs.
Ceux-ci, nombreux et conscients aussi de l’enjeu, ne peuvent pas ne pas mesurer le poids des résultats qui sortiront du scrutin de ce vendredi. Au terme d’une campagne électorale jugée régulière, marquée par l’assiduité des candidats, sacrifiant davantage à des thématiques locales – eau, électricité, équipements, infrastructures – qu’à des débats d’idées, les électeurs sont pour la première fois interpellés sur des sujets fondamentaux de société où la religion est véhiculée par le PJD comme un argument politique et où, inversement, la quasi-totalité des autres partis lui opposent le contre-argument de la modernité.
Or, le débat politique actuel ne saurait se réduire caricaturalement à ce dilemme cornélien : la religion opposée à la modernité, comme autrefois la tradition à la modernité.
L’Etat marocain procède par essence de la foi islamique et aucun parti, quel qu’il soit, ne peut ni se prévaloir de son monopole ni l’ériger comme une sorte de frontispice. La religion ne saurait constituer un programme politique et ceux qui s’en réclament le savent d’autant plus qu’il leur faudrait s’inscrire dans le mouvement incommensurable et irréversible de la modernité.
Le Maroc fait de cette dernière son credo mais aussi un programme, interpellé aussi qu’il est par l’exigence de relever les défis du progrès, de la croissance, du développement durable, du pluralisme, de la démocratie, de la diversité et de la tolérance. De tels paramètres ne constituent pas – loin s’en faut – des slogans, ils s’afficheront sur le tableau au lendemain des élections législatives. Ils seront au rendez-vous dès la semaine prochaine. Ceux qui sont appelés à prendre en charge le destin du pays ne peuvent que s’y résoudre et s’y impliquer, sous peine d’être emportés par la marée de l’inconnue et surtout par les effets de manche qui séduisent plus d’un d’entre nous.
Les électeurs conviés à voter ce vendredi auront à choisir entre deux options majeures : le progrès ou le recul. Outre l’incertitude qui caractérise toute épreuve démocratique de cet ordre, il convient notamment de mettre en exergue le choix de la liberté qu’implique aussi le dilemme.
Sans la démocratie, sans la liberté aussi, notre système de représentation – il faut le dire et le répéter – n’eût guère favorisé cette émergence politique de partis et d’expressions politiques, traduite par le pullulement de quelque trente-trois formations en lice, des programmes aussi nombreux et compétitifs, des femmes et des hommes différents, bref, un véritable champ de créativité dont, forcément, d’aucuns ne se réjouissent pas aussi aisément. La liberté dans cette affaire a été l’alliée privilégiée de la démocratie. Les deux exigences constituent aujourd’hui les deux pôles de notre étendard et aucun parti politique, nul leader n’y peut ni doit se soustraire.
Tout le monde partage l’aversion marquée contre l’intolérance et l’obscurantisme, et pas moins que les partis classiques le PJD, sauf à se renier, ne cèdera à la tentation de l’extrémisme idéologique.
Il est vrai que toute formation sera jaugée à l’aune de ses pratiques une fois caparaçonnée dans l’exercice des responsabilités, sur pièces et à ses actes et décisions.
Peut-être faudrait-il, dans le souci de sérier les impératifs incontournables de la démocratie, rappeler ses référentiels sur lesquels la vigilance ne sera jamais levée :
1) – Le choix de la démocratie et des institutions monarchiques, appuyées sur un Etat de droit patiemment et laborieusement bâti. De l’IER à la construction d’un édifice où s’épanouissent libertés collectives, individuelles et esprit d’initiative. C’est, grâce à Sa Majesté Mohammed VI, le résultat d’un processus auquel la nation, le peuple et la société civile ont apporté leur soutien et leur adhésion.
2) – Le choix de l’édification du Maghreb, auquel Sa Majesté le Roi appelle de tous ses vœux. Elle est liée à la dynamique de l’histoire qui dépasse les hommes et les vicissitudes. Choix stratégique, irréversible.
3) – Le choix du développement et la modernisation du Maroc. Depuis huit ans, un effort considérable, pharaonique même est déployé sur tous les fronts. Il est illustré avec des engagements concrets en matière d’infrastructures, de réalisations économiques, de réformes multiples, de croissance avérée et de lutte contre les inégalités.
4) – Le choix d’une vision sociale, faite de solidarité dynamique et agissante. Elle est la traduction d’une volonté partagée de lutte contre la marginalisation, l’exclusion et la précarité. Solidarité en interne comme en externe du Maroc. Culture et programme à la fois pour éradiquer la pauvreté, les bidonvilles, promouvoir le progrès social et la réinsertion dans le processus du progrès et du développement des populations menacées.
5) – Le civisme et la citoyenneté, fruit d’un effort de longue haleine en termes d’éducation, de formation et de prise en charge par l’Etat et la société civile des populations. Ce sont la face renversée de la liberté. C’est aussi l’un des mécanismes institutionnels de la tolérance, de la diversité et du pluralisme qui sont au Maroc ce que l’âme intangible est au corps humain, une force et une puissance.
Les formations politiques se reconnaitraient-elles dans ce catalogue rapide, sommaire à la limite, qu’elles feraient en sorte de s’y tenir ex abrupto ! Elles ne peuvent, en revanche, s’en écarter car c’est l’objet de débat, d’un débat d’idées qui a cruellement manqué pendant cette campagne.
Ce n’est pas le changement de majorité qui mettra un terme à une telle exigence globale, celle de l’éthique politique, dépouillée de démagogie, tournée vers l’intérêt national plutôt que vers l’égoïsme partisan.
Aujourd’hui, le Maroc fait le pari du changement – un changement dont personne ne saurait prédire la nature -, mais qui ne peut en aucun cas s’accommoder ni des pratiques éprouvées du pouvoir condamnées par le passé , ni d’un nouvel autoritarisme aux colorations idéologiques, voire démagogiques ! On peut s’évertuer à jouer les pronostics ! Mais, sachons que, quels qu’en soient les résultats, l’élection de ce vendredi 7 septembre porte en germe un autre changement : celui du rôle de ce qui deviendra l’opposition à la majorité gagnante. Il ne sera plus le même, portera évidemment à conséquence parce qu’alors, peut-être aussi, le débat prendra sa forme réelle sous le signe des nouveaux enjeux.
Pour l’heure, les électeurs doivent aller aux urnes exprimer leur choix librement, ils doivent conforter le lien social d’un pays qui marque les étapes de son développement au signe du progrès…
Hassan Alaoui
LE MATIN