Ça court dans tous les sens, on se renseigne sur telle ou telle affaire, des hommes, des femmes âgées, d’autres plus jeunes, des mômes accrochés aux djellabas de leur maman, des avocats en concertation par petits groupes, un agent de police retirant son képi et épongeant son front, canicule oblige et, dans un coin, un pigeon perché sur une colonne scrute ces mouvements de foule sans trop savoir ce qui se trame. Dans ce lot à la cohérence certaine, un individu se fraie un chemin entre les petits groupes. Il semble ne pas trop cadrer avec l’ensemble.
Chemise blanche et gilet noir, l’intrus de service n’est autre qu’une version moderne du fameux porteur d’eau. En lieu et place de l’accoutrement de ce dernier, notre ami trimbale deux paquets d’eau minérale fraîche, cédée au prix unitaire de 5 dirhams. Et avec cette chaleur ce n’est pas la demande qui manque. Vers 12h50 dans la salle 2 qui commence à se remplir, un fonctionnaire fait irruption et vient déposer trois piles de dossiers sur le pupitre des magistrats. 13h00, une vingtaine d’avocats envahissent la salle et prennent place sur le premier banc. Avec leurs robes noires, ils font penser à une rangée de corbeaux. 13h10, toujours pas de juge, pas d’accusés, pas de plaidoiries… rien ne se passe.
Etouffante, la chaleur qui dominait les lieux gagna en intensité. Dossiers et documents se transforment en éventails. On papote, faute de mieux. On se rend compte que les deux climatiseurs accrochés aux murs ne servent que de décor.
Une dizaine de minutes plus tard, une sonnerie retentit, annonçant l’entrée en scène du président de la cour, accompagné de deux magistrats en plus du procureur et du huissier. Petit détail, l’assistance se lève, ce n’est pas que dans les films que ça arrive. Le président se saisit du premier dossier et annonce le matricule. Ce sera la seule chose audible. Le reste, il faut être soit avocat, soit accusé, pour pouvoir l’entendre.
Deux robes noires s’approchent des magistrates, en plus de l’intéressé dans l’affaire. Quelques chuchotements, le juge se concerte tour à tour avec les deux magistrates et annonce le report de l’examen au 25 septembre. L’audience n’a duré que deux minutes. On passe au dossier suivant. Les personnes jugées ici comparaissent en état de liberté, chose qui explique l’absence de toute sorte d’uniforme dans la salle. En sortant de la salle 2, inutile de s’attarder devant la salle 3, aucune audience ne s’y déroule. Celle-ci à été transformée en salle de prière.
Au niveau de la salle 4, l’ambiance semble plus animée. A la première rangée, une douzaine de personnes, jeunes pour la majorité, dont une fille, sont en train d’être jugés. Là, en revanche, des policiers veillent au bon déroulement des choses. Il faut signaler que les mis en cause sont des délinquants, patibulaires pour la plupart, certains portant une balafre et sont jugés pour coups et blessures et autres délits se rapportant à la délinquance sous toutes ses formes.
Le juge se retire pour délibérer et un brouhaha envahit la salle. Les policiers doivent intervenir pour calmer les esprits.
Certains accusés se retournent pour échanger quelques bribes avec leurs proches, parents ou amis. «Mère, ne pars pas, reste, ils vont prononcer le verdict», lança l’un d’eux à une femme quadragénaire qui, à la voir marcher, semble souffrir d’une douleur à la jambe droite. «Est-ce qu’ils vont te ramener à Oukacha ?, répliqua-t-elle, je ne pourrais pas venir te voir demain, je n’en ai plus la force, personne d’ailleurs ne pourra te rendre visite demain…»
En dernier acte, d’autres policiers arrivèrent en renfort et font sortir les accusés, menottés au préalable, deux par deux. Le verdict sera communiqué ultérieurement.
Il est 14h20 et un petit détour du côté de la salle 8 s’avère édifiant. Ici, il fait plus chaud qu’ailleurs. La salle est divisée, en longueur, par des barrières. D’un côté, les accusés, au nombre de neuf ou dix. Une femme d’un certain âge, djellaba et foulard, est retranchée en arrière.
De l’autre côté, les proches et les curieux. Quatre gardiens de la paix s’activent pour mettre de l’ordre au sein des accusés. «Ces délinquants sont poursuivis dans des affaires différentes d’atteinte aux mœurs», nous indique l’un des agents de police. Ceux-ci sont particulièrement bouillonnants et s’agitent dans tous les sens. Ils tentent d’échanger des mots avec leurs proches. Parfois on les y autorise, parfois non.
Coiffure «punk», t-shirt rouge et bermuda en jean, un jeune dont l’âge ne doit pas dépasser 18 ans est singulièrement perturbateur et s’attire, constamment, les foudres des agents. L’un des accusés fait passer un document jusqu’à ce qu’il atterrisse entre les mains de l’un des flics, qui le remet à la mère de celui-ci. A son tour, elle remet au policier deux pièces de monnaies, des pièces de 10 dirhams semble-t-il, que celui-ci remet au fils. Un autre gars, parmi l’assistance, demande la permission de remettre des cigarettes à son frère.
On l’y autorise.
Soudainement retentissent les fameux trois coups perçants annonçant l’entrée des magistrats. Dans cette salle, il n’est pas question de sonneries, on procède dans les règles de l’art. L’assistance se lève, bien entendu. Le président et le reste prennent place et ce dernier prononce pas moins d’une dizaine de verdicts, allant de 1 à 20 mois d’emprisonnement. Ces peines ne concernent pas ceux qui occupent le box des accusés, mais plutôt ceux qui étaient là avant eux .
Les magistrats quittent la salle pour une pause. Ils y reviendront pour reprendre leurs audiences concernant les jeunes présents. Le tribunal se vide peu à peu. Les audiences commencent à arriver à terme peu avant 15h00 coïncidant avec leur fin. Rendez-vous le lendemain… avec le pigeon perché et le fameux porteur d’eau…
Lematin.ma