Le sourire aux lèvres, il savait garder sa bonne humeur. Il était aimé de tous. Enfin presque. Ce qui lui est arrivé prouve qu’il y avait au moins une personne qui lui en voulait. Après une longue journée de travail, Al Maâti a conduit le petit taxi au parking situé au quartier Marjane II. Épuisé, il a demandé au gardien, qui a tenté d’engager une conversation avec lui, de la rapporter au lendemain. Puis, il a emprunté le chemin qui mène à sa demeure, située à quelques pas du parking. Tout d’un coup, il a lancé un cri strident. Que s’est-il passé ? Quelqu’un lui a assené deux coups de couteau dans le dos. Avant de s’effondrer, Al Maâti s’est retourné pour identifier son agresseur. Il l’a fixé du regard avant de lancer un dernier cri : « Abdellah ! ». Al Maâti connaissait son agresseur qui semble le haïr à mort.
Quand ce dernier est tombé par terre, l’agresseur lui a donné un troisième coup au niveau de sa fesse gauche avant de pousser un profond soupir de soulagement, comme s’il venait de se débarrasser d’un lourd fardeau qu’il portait depuis si longtemps.
Après avoir perpétré son crime, Abdellah ne pouvait bouger. Il ne s’est pas enfui. L’homme fixait du regard le cadavre d’Al Maâti. Le gardien du parking et d’autres badauds se sont attroupés autour du cadavre gisant dans une mare de sang. Abdellah tenait à la main encore l’arme du crime, bien aiguisé, maculé de sang. Frappés de stupeur, les gens se sont contentés de le regarder. Ils le connaissent.
Abdellah est leur voisin, âgé de quarante ans et père de quatre enfants. Artisan de son état, il jouissait d’une bonne réputation. Comment ce père de famille, n’osant faire du mal même à une mouche, a tué un septuagénaire ?, s’interrogeaient les voisins.
Abdellah a gardé le silence. Il ne voulait rien raconter jusqu’à l’arrivée de la police. « J’avais 13 ans quand il m’a violé », affirme-t-il. Abdellah se souvient de son histoire avec Al Maâti comme si c’était hier. L’histoire remonte à plus de vingt sept ans.
Abdellah était à son treizième printemps, alors qu’Al Maâti était à son quarante-troisième. Ils étaient voisins.
Un jour, Al Maâti a accusé Abdellah d’avoir volé un objet artisanal.
En sanglotant, l’enfant clamait son innocence. Mais Al Maâti ne l’a pas cru. Il l’a saisi par la main et l’a conduit jusqu’à un terrain vague situé au quartier Tawra, pas loin des potiers de la ville. Là, loin des regards indiscrets, il lui a ligoté les mains et l’a violé.
Après quoi, il l’a relâché et lui a versé deux dirhams. Avant de rebrousser chemin, il menace de le tuer s’il racontait quoi que se soit à ses parents. En gardant le silence, l’enfant a nourri également une rancune contre Al Maâti. Adolescent, Abdellah qui n’a pas oublié son viol, s’adonnant à la drogue. En 1987, il a rejoint les rangs de l’armée.
Deux ans plus tard, il s’est lancé dans la production de produits artisanaux. Il s’est marié et a fondé une petite famille, toutefois, sans oublier son violeur qui n’a pas donné signe de vie depuis le jour du forfait. C’est en 1990, qu’il l’a rencontré dans un café. Depuis, il suit ses pas comme son ombre. Il a tenté de le tuer à maintes reprises, mais il renonçait à la dernière minute. Et par un pur hasard, Abdellah a déménagé pour occuper deux pièces au même quartier, Marjane II, où demeure Al Maâti. L’idée de vengeance commençait alors à le hanter jour et nuit…
Par : Abderrafii ALOUMLIKI
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