À l’arrivée prochaine de la nouvelle année et de l’Aïd, il mêle ses ressentiments à l’égard de sa femme, qu’il aime à la folie mais qui le contrarie. Il pense à aller la chercher chez Abdelouahed, le demi-frère de Ghizlane, chez qui elle a trop l’habitude de se rendre, au point d’abandonner littéralement le domicile conjugal pour Dieu sait quelles raisons.
Jeune marin de vingt-neuf ans, Rachid ne sait plus quoi décider. L’idée d’aller demander conseil à un ami n’effleure même pas son esprit. Il estime qu’il est parfaitement en mesure de gérer tout seul cette situation et que tous les efforts qu’il a déjà déployés pour rendre sa femme heureuse finiront par porter leurs fruits.
La relation entre les deux époux n’en est pas moins conflictuelle. Ghizlane, moins âgée que lui, n’a pas regagné cette fois-ci le foyer conjugal après leur dernière dispute. Elle a, de plus, refusé de lui permettre de voir leur enfant. Ce n’est pas la première fois que Rachid envisage de la répudier, au pire pour en finir, au mieux à titre d’avertissement. Mais il ne parvient pas à s’y résoudre. Son amour pour Ghizlane est trop puissant.
Il se souvient des moments où il est tombé amoureux d’elle, la suivant comme son ombre jusqu’à ce qu’elle accepte de lui parler. Il se souvient de son immense joie lorsqu’il lui a été enfin permis de venir faire sa demande auprès des parents de sa bien-aimée. Il se souvient de son émotion les jours précédants leur mariage et de son bonheur sans bornes lors de la nuit de noces.
Certes, il n’oublie pas ces moments de malheur, lorsque des querelles venaient assombrir le ciel de leur foyer. Les reproches de Ghizlane retentissent soudain dans sa tête : elle supportait de moins en moins bien qu’il consomme de la drogue, d’autant plus légitimement que dans ces états-là il en arrivait à la frapper, se droguer et de la violenter.
Rachid en arrive à la conclusion que Ghizlane essaie de le pousser à la répudier. Il entre soudain en colère contre le demi-frère de son épouse, auquel il reproche de ne pas intervenir pour convaincre sa sœur de respecter davantage son mari, de regagner son foyer et de s’y consacrer. A moins, se dit-il soudain, que Abdelouahed n’aie précisément intérêt à ce que Ghizlane soit répudiée ?
On ne saura jamais si les soupçons de Rachid étaient fondés ou si quelqu’un était venu lui donner les preuves de l’infidélité de sa femme. Toujours est-il que le jeune marin se lève, pris d’une pulsion irrépressible.
Rachid enfourche son vélomoteur et se rend chez Abdelouahed. Constatant que Ghizlane ne s’y trouve pas et apprenant qu’elle se trouve chez l’une de ses cousines, il semble s’apaiser. Il invite alors Abdelouahed à le suivre.
Abdelouahed monte derrière Rachid et les voilà en route. Au cours du trajet, la conversation est banale. Abdelouahed n’a aucune raison de se méfier de son ami et beau-frère, pour ainsi dire. Le duo est bientôt arrivé à destination : le cimetière Sidi Abderrahmane Messaoud, dans la périphérie de Safi, l’endroit idéal pour fumer tranquillement quelques joints.
C’est alors que Rachid révèle ses intentions. De sous ses vêtements, il extrait un grand couteau et ordonne à Abdelouahed de prononcer la Chahada, la profession de foi de ceux qui s’apprêtent à passer dans l’au-delà. Terrorisé, Abdelouahed ne voit son salut que dans l’imploration qu’il adresse à Rachid de lui pardonner. Mais ce dernier est fou furieux. Il se jette donc sur l’autre et le crible de dix-huit coups de couteau.
Après avoir lancé un dernier regard sur le corps sans vie d’Abdelouahed, Rachid remonte sur son vélomoteur et se rend chez la cousine de Ghizlane. C’est elle qui lui ouvre la porte. Un scénario identique à celui de l’assassinat d’Abdelouahed se reproduit: Rachid ordonne à sa femme de s’en remettre à Dieu avant de mourir puis la transperce de treize coups de couteau avant de s’enfuir.
Alertés, les enquêteurs du premier arrondissement de police de Safi se sont dépêchés sur les deux lieux des deux crimes. Abdelouahed a rendu l’âme, mais Ghizlane est encore en vie ; elle est conduite en urgence vers l’hôpital Mohammed V, où elle finira par décéder. Les enquêteurs entrent alors en action. Tous les soupçons convergent rapidement vers Rachid qui a disparu sans donner signe de vie. Il sera finalement arrêté quatre jours plus tard, le jeudi 28 décembre, et ne tardera pas à avouer.
Le lendemain de la fête du Sacrifice, Rachid attendait son tour, dans les couloirs de la Cour d’appel de Safi, pour être interrogé par le parquet général et par le juge d’instruction. Tandis que son unique enfant était livré à un bien cruel destin…
Abderrafii ALOUMLIKI
Aujourdhui.ma