Dans ce petit village de la région de Benslimane, tous les habitants se sont préparés à accueillir cette nuit et à la vivre pleinement. Chacun a accompli ses tâches de la journée et s’est approvisionné. Les enfants ont été dotés de vêtements neufs, en particulier ceux qui ont jeûné pour la première fois de leur vie. En fait, tout le monde s’est arrangé pour n’avoir plus rien d’autre à faire qu’attendre la rupture du jeûne et ensuite se consacrer pleinement à prière d’el Iicha suivie des Tarawih.
En jellaba, fouqiya et jabadour, chaussés de babouches neuves, les villageois se dirigent vers les mosquées pour vivre pleinement cette nuit sacrée : se recueillir, implorer Dieu, prier du plus profond de leur âme et ce jusqu’à l’aube. Comment ne pas souhaiter profiter des bienfaits de cette nuit si chère à Dieu ?
C’est également le cas du protagoniste du drame qui va bientôt se jouer. L’homme, âgé de 45 ans, soldat à la retraite recyclé dans les petits travaux d’électricité semble profondément imprégné de cette atmosphère de recueillement. Depuis son réveil à l’aube, sa journée s’est placée sous le signe de la nuit sacrée. Il a revêtu sa plus belle tenue puis est sorti vaquer à ses activités.
Sa femme, quant à elle, s’est occupée de leur unique enfant, un garçon âgé de huit ans, qu’elle a envoyé comme chaque jour à l’école, avant de se consacrer à ses tâches ménagères. Au fond de son cœur toutefois, un sentiment de frustration la ronge secrètement : elle qui souhaite tellement pourvoir se rendre à la mosquée accomplir les Tarawih. Mais elle sait que son mari ne le lui permettra pas. Comme si la sincérité de sa foi ne comptait pas. Elle est condamnée à demeurer cloîtrée chez elle en compagnie de son fils, à attendre le retour de son seigneur et maître. Quelques instants avant l’heure de la rupture du jeûne, l’électricien est de retour chez lui. Son jeune fils, qui a jeûné en ce jour béni, est fier d’accueillir son père au terme de cette journée d’initiation. L’enfant baise la main de son père et tous deux prennent place à la table, tandis que la mère s’affaire en cuisine. C’est alors que retentit l’appel du muezzin. Le père prononce l’invocation rituelle : «Ô Allâh ! Pour Toi j’ai jeûné et grâce à Tes bienfaits je romps mon jeûne», avant d’avaler une gorgée de lait accompagnée d’une datte pulpeuse. Son fils l’imite avec une joie mêlée d’une indicible fierté. Puis la famille se détend un instant devant la télévision mais les programmes humoristiques de Ramadan ne parviennent pas à retenir le père qui se retire dans sa chambre pour se reposer, le temps que le muezzin fasse retentir l’appel à la prière d’el Iichaa. Sur le chemin de la mosquée, l’homme échange des politesses avec ses voisins de quartier. En général, tout le monde l’apprécie, même si on se méfie un peu de lui. La cause en est ces crises de colère folle qui s’emparent de lui parfois.
Le vrai problème est qu’il n’a jamais consulté de médecin pour identifier ce mal et entreprendre de se soigner. Il fait malheureusement partie de ces gens qui s’imaginent que les soins psychiatriques sont réservés aux fous et aux aliénés et lui n’a pas le sentiment d’être fou. De plus, ces médecins-là coûtent très cher et ces crises ne sont pas suffisamment fréquentes pour qu’il les juge dignes d’être une source de dépense. Le voici donc à la mosquée, accomplissant ses ablutions avant de rejoindre les fidèles pour les prières d’Al Îcha et des Tarawih. Quelques heures plus tard, il quitte la mosquée pour retourner chez lui. Quelques instants après son arrivée, les voisins ont entendu des cris et des appels au secours. Le voisinage ne perd pas de temps à se poser des questions. Très vite, la police de Benslimane est alertée. Dans un temps record, les Forces de l’ordre sont sur les lieux. Mais le drame s’est déjà joué, l’homme pris de folie n’a pas tardé à se déchaîner. Il a d’abord frappé sa femme à coups d’une grosse pierre jusqu’à lui faire perdre connaissance. Puis il a étranglé son fils, avant de se donner la mort par pendaison.
Les policiers ne pourront que constater les dégâts, et faire le nécessaire pour que la malheureuse épouse du forcené, dans le coma, soit évacuée vers l’hôpital Avicenne de Rabat.
La police de Benslimane attend le rétablissement de la santé de la mère pour déterminer les circonstances exactes et le mobile du crime.
Abderrafii ALOUMLIKI
Aujourdhui.ma