La survie de milliers de patients marocains dépend d’un d’organe.Qu’il s’agisse d’une cornée, d’un rein, d’un foie ou d’un cœur, les greffes sont peu nombreuses. Le Maroc figure en queue de peloton dees pays arabes en matière de transplantations. Si l’on prend le cas de la cornée, seulement 150 malades bénéficient d’une greffe chaque année, un chiffre dérisoire comparé à la demande sans cesse croissante. «Si l’on veut répondre à la demande, 3500 greffes doivent être réalisées par an», affirme à ALM Dr Abdellatif Badaoui, président de la Société marocaine de chirurgie réfractive et d’implantologie (SAMIR). Entre 2.500 et 3.000 personnes ont perdu la vue à la suite d’une atteinte de la cornée. Les textes de loi dans le domaine restent inadaptés dans la mesure où le prélèvement et la transplantation d’organes ne peuvent être réalisés que dans les hôpitaux publics.Pour la cornée, c’est toute une autre affaire. «Seul l’hôpital Cheikh Zayd est autorisé à pratiquer des greffes de cornée alors que nous disposons de moyens techniques performants et du personnel médical compétent tant dans le secteur public que privé», déplore Dr Baddaoui. Et de poursuivre que : «nous luttons afin que le ministère de la Santé puisse permettre au secteur privé de réaliser ces transplantations. La ministre a manifesté une volonté pour régler ce problème». Pour le Pr Mouhcine El Bakkali, secrétaire général de la SAMIR, la loi de 1999 relative aux greffes d’organes est contradictoire. «Cette loi donne le droit au secteur privé de pratiquer des greffes mais interdit d’importer la cornée. Nous voulons être au même pied d’égalité avec l’hôpital Cheikh Zayd». Les seuls greffons (cornée) disponibles sont importés des Etats-Unis. «Une convention a été signée avec un hôpital de Baltimore pour l’importation des cornées.Leurs prix oscillent entre 800 et 900 dollars. L’opération chirurgicale à l’hôpital Cheikh Zayd coûte 30.000 DH», indique le président de la SAMIR avant d’ajouter que : «il n’y a aucune raison pour que nous importons des greffons de l’étranger alors que nous pourrions très bien réaliser des prélèvements sur des personnes décédées notamment à la suite d’accidents de la route.Contrairement au cœur, il est possible de prélever la cornée 6 heures après le décès d’une personne. D’ailleurs, la législation marocaine et la religion autorisent le prélèvement de cornée sur des cadavres». Les greffes de cornée se font essentiellement en Tunisie, France, Espagne, Egypte et Arabie Saoudite. «Chaque année, 300 patients marocains vont se faire greffer dans ces pays. En France et en Espagne, il faut compter 3.000 à 4.000 euros pour la transplantation. Par contre la greffe coûte 25.000 DH en Tunisie et 20.000 DH en Egypte», souligne Pr El Bakkali.
Parmi les pays du Maghreb, la Tunisie a réalisé une importante avancée dans cette activité médicale de pointe. La législation tunisienne a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter les situations de confusion en cas de décès d’une personne potentiellement donneuse en leur permettant à l’avance de leur vivant d’inscrire sur la carte d’identité la mention «donneur d’organes». Autre problème à signaler concernant le Maroc : l’inexistence d’une banque des yeux, dédiée au prélèvement, la conservation et l’approvisionnement des équipes médicales spécialisées. «Cette instance n’existe que sur le papier alors que le Royaume avait été pionné dans la greffe de cornée en instaurant cette instance dans les années 50. Des pays comme la Libye, l’Algérie qui étaient parmi les derniers de la classe nous devancent de nos jours». Concernant les causes de l’agonie de cette structure, le Pr El Bakkali explique «la banque des yeux avait été créée pour lutter contre le trachome. Dans les années 50-60, il y avait beaucoup de cas de cheratite. Jusqu’en 1990, 60 patients étaient greffé gratuitement chaque année au sein des CHU. Il était possible de faire des prélèvements de cornées quand le décès survenait à l’hôpital. Mais avec la promulgation de la loi du 25 août 1999 relative au don,au prélèvement et à la transplantation d’organes, les prélèvements de cornée ont connu une chute brutale passant de 50 à 0. Et pour cause, cette loi demande une autorisation. Le prélèvement d’organes doit être exprimé devant le président du tribunal de première instance».
Pour ce qui est des greffes rénales, la situation n’est guère meilleure. Depuis 1990, seulement 160 greffes rénales ont été réalisées soit environ 8 greffes par an. La législation marocaine ne contribue pas à l’amélioration de cette situation dans la mesure où le don d’organes ne peut être réalisé qu’entre donneurs vivants apparentés. Les greffes organes de personnes décédées ou de personnes non proches du patient sont interdites. Par conséquent, plusieurs Marocains, n’ayant pas trouvé un donneur sont obligés de partir à l’étranger en l’occurrence en Egypte, en France , en Espagne ainsi qu’en Inde et au Pakistan. «Dans des pays comme l’Egypte, l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le commerce d’organes a pris une ampleur considérable. Un rein peut coûter entre 1.500 et 3.000 dollars. Mais dans certaines régions très pauvres d’Asie où règne une misère extrême, les personnes peuvent être amenées à vendre leur rein à 15 ou 20 euros», déclare Pr Amal Bourquia , présidente de l’Association Reins. En se faisant greffer dans ces pays, les patients marocains peuvent courir de graves complications. Ils ont besoin d’un suivi néphrologique et souvent d’une prise en charge urgente.
Selon Pr Bourquia, le trafic d’organes n’existe pas au Maroc. «La loi interdit de manière formelle le commerce d’organes. Des sanctions sévères sont prévues contre les personnes qui pourraient s’y adonner». Au Maroc, quatre établissements sont autorisés à pratiquer des greffes de reins : les CHU de Rabat et de Casablanca, l’hôpital militaire de Rabat et l’hôpital Cheikh Zayd. Une greffe de rein coûte 250.000 DH sans compter les honoraires du chirurgien et ceux du médecin traitant. Au stade terminal de la maladie, deux solutions s’imposent pour maintenir le malade en vie : l’hémodialyse ou la transplantation. «L’hémodialyse étant une pratique contraignante, fatigante et coûte beaucoup plus cher que la greffe. Il faut compter 850 DH la séance à raison de 3 séances par semaine soit 2550 DH. L’hémodialyse revient à 10.200 DH par mois et 122.400 DH par année», souligne Pr Bourquia. La sensibilisation de l’opinion publique par la mise en place d’une politique de communication doit non seulement être entreprise par le corps médical mais également par les autorités religieuses, la société civile ainsi que les politiques.
La Législation relative au don d’organes
Le don d’organe est autorisé par la loi. Le consentement du donneur est obligatoire. Le consentement au prélèvement d’organe doit être exprimé devant le président du tribunal de première instance. Les personnes mineures ne peuvent en aucun cas faire don de leurs organes. Les donneurs autorisés selon la loi marocaine sont les descendants, les frères, les sœurs, les oncles, les tantes ou leurs enfants. A noter que le conjoint peut être donneur à condition que le mariage ait été contracté depuis au moins une année. Des dispositions pénales allant de l’emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 50.000 à 500.000 dirhams sont prévues dans les cas suivants : transaction sur un organe humain, rémunération pour un don, prélèvement d’un organe humain ailleurs que dans un hôpital public agrée, violation de l’anonymat du donneur ou du receveur.Sont punis également les personnes qui effectuent un prélèvement d’organe sur une personne mineure ou une personne majeure sans recueillir son consentement ou sur une personne décédée qui n’a pas fait part de sa volonté de don.
Le don d’organes est-il autorisé par la religion ?
Selon Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des Ouléma, l’Islam autorise le don d’organes quand il s’agit de sauvegarder une vie humaine. «Prenons le cas d’un homme vivant et d’un homme mort, ne vaut-il mieux pas que l’on préserve la vie du premier plutôt que de s’attacher à l’intégrité du corps du second. La préservation de la vie du vivant passe avant l’intégrité du corps de celui qui est mort». Il est permis de transplanter un organe d’un mort à une personne vivante dont la vie dépend à condition que le décédé ait donné la permission ou sa famille. Par contre, la religion interdit le don d’organes dans plusieurs cas. Ainsi,il est interdit de transférer un organe vital comme le cœur d’une personne vivante au profit d’une autre personne. De même que la religion interdit de prélever un organe d’une personne vivante, si ce prélèvement peut perturber une fonction essentielle pour sa survie, même si celle-ci n’en dépend pas, comme le prélèvement des rétines. La religion interdit strictement le commerce d’organes.
Leila Zerrour
Aujourdhui.ma