Descente chez la police scientifique

Mercredi 20 décembre. La journée s’annonce rude pour les différents services du laboratoire national de police scientifique de Casablanca, un département de la sûreté nationale. Entourés de multiples appareils de différentes tailles, de la centrifugeuse à l’appareil d’ultrasons en passant par l’électrophorèse capillaire gérée par ordinateur, des policiers en blouse blanche se penchent sur les nouvelles affaires qui leur sont parvenues par courrier. Armés de leurs microscopes sophistiqués, ils traquent les criminels. Rien n’est négligé. Pas le moindre détail : une tache de sang, des traces sur un vêtement, un cheveu ou une goutte de salive ou encore le sperme d’un violeur. En somme, ils ont les moyens scientifiques nécessaires pour faire parler, en un temps record, même un grain de sable ou une micro trace.

En dix ans d’activité, le LNPS a traité 4581 affaires criminelles et civiles. Parmi les plus importantes, les attentats du 16 mai 2003, le serial killer Abdelâali Hadi, les affaires liées à la marée blanche de cocaïne sur Casablanca et l’affaire Zouita.

Au service de biologie, situé au 3e étage du bâtiment, des centaines d’affaires sont décortiquées chaque année. Rien qu’en 2006, 342 dossiers ont été traités par les soins de ces experts. «Notre section est chargée d’étudier et d’identifier les traces et indices biologiques prélevés sur les scènes de crime en vue d’établir un profil génétique. Ce travail scientifique permet d’orienter les investigations des enquêteurs de la police pour élucider des affaires de meurtres, d’agressions, de terrorisme, de viols ou de vols par effraction», note Ahmed Zaari, commissaire de police principal, chef du service biologie. Une telle mission nécessite évidemment, outre une profonde connaissance scientifique, des appareils et des techniques de pointe. C’est ce qui a poussé la Sûreté nationale à investir plusieurs millions de dirhams pour équiper son laboratoire scientifique. Introduite en 2004 au Maroc, la technique d’identification par empreintes génétiques a permis à nos policiers d’agir avec plus d’efficacité et de rapidité. «Auparavant, on utilisait des méthodes d’immuno-hématologie basées sur les groupes sanguins pour identifier une personne. Cette technique n’était pas assez discriminante pour identifier avec certitude l’individu. Par exemple, l’analyse d’une tache de sang révèle que le groupe sanguin du suspect est B négatif. On trouvera trois ou quatre personnes qui ont ce même groupe sanguin. Alors que pour l’empreinte génétique, ce problème ne se pose pas. Chaque individu dispose d’une carte génétique qui lui est spécifique. Ainsi, nous sommes passés de l’identification groupale à l’identification individuelle», poursuit ce docteur en sciences biologiques.

L’apport scientifique du laboratoire de police nationale dans l’établissement de la vérité dans une affaire portée en justice est incontestable. Les exemples sont nombreux. Entre autres, l’affaire du tueur de Taroudant. Grâce à l’analyse des dents des cadavres, la police a réussi à identifier les huit victimes. Mieux encore, l’examen microscopique des plantes qui ont été enterrées avec les squelettes a permis de prouver la culpabilité du suspect. «L’examen des plantes et feuilles prélevées avec les squelettes et celles qui se trouvaient dans la baraque du tueur nous a permis de donner des preuves tangibles de sa culpabilité. Ces plantes sont des indicateurs de lieu», précise M. Zaari. Autre affaire dans laquelle la compétence de nos experts scientifiques s’est illustrée. Il s’agit de l’affaire du boucher de Hay Hassani qui avait assassiné sa maîtresse et l’avait découpée en morceaux avant de les jeter dans des poubelles. «L’assassin était un boucher. Il disposait d’une panoplie d’instruments tranchants. Après avoir commis son acte, il les a bien lavés. En effectuant une visite au domicile du suspect, nous avons prélevé une gouttelette de sang au niveau de la jointure du fer et de la manche en bois de la hache. Nous avons également trouvé un minuscule morceau de chair, qui s’est incrusté au niveau d’une vis de la scie. L’analyse génétique a permis d’établir un profil génétique lequel s’est avéré correspondre à celui de la victime», se félicite M. Zaari.

Comme l’avait bien dit Edmond Locard, l’un des pionniers dela criminalistique : «Tout individu, à l’occasion de ses actions criminelles en un lieu donné, dépose et emporte à son insu des traces et indices : sueur, sang, poussière… Qu’ils soient de nature physique, chimique ou biologique, ces indices, une fois passés au crible d’examens de plus en plus sophistiqués, parlent et livrent le récit du crime avant de permettre au lecteur-enquêteur de déchiffrer la signature de l’auteur coupable».

Pratique jugée très fiable, l’empreinte génétique est devenue pratique courante dans les différentes enquêtes et affaires criminelles. Selon les statistiques du laboratoire de police scientifique, en 2005, elle présente à elle seule la majorité des analyses, soit 75,7 % des examens effectués dans le service de biologie. Cette technique est également utilisée dans les recherches en paternité.

Conscients de la sensibilité de ces affaires, les experts scientifiques sont très vigilants et examinent minutieusement avant de se prononcer. Grâce au kit «Identifiler» d’Applied Biosystems qui fait appel à 16 marqueurs, et au «ABI Prism 3100», deux appareils performants utilisés dans l’analyse de l’ADN, les résultants sont probants et l’opération d’identification est rapide.

Au service «Chimie, incendie et explosif», la mission des flics scientifiques consiste à identifier le contenu d’engins explosifs utilisés notamment lors d’un attentat et de déterminer les causes des incendies en analysant les différents matériaux prélevés sur les lieux du drame.

Les dossiers relatifs aux incendies sont les plus fréquents. Parmi ces dernières figurent l’incendie de la prison de Oukacha qui avait fait 27 victimes, celui de la prison locale de Sidi Moussa à El Jadida qui avait fait 40 morts et l’incendie du Comptoir des produits chimiques aux Roches Noires de Casablanca.

«Notre rôle consiste à rechercher l’origine de l’incendie. Nous examinons les indices ou traces de produits inflammables pour orienter l’enquête policière en vue de savoir s’il s’agit d’un incendie criminel ou accidentel. Nos investigations se concrétisent par un rapport d’expertise transmis à la police judiciaire, au Parquet ou au tribunal qui instruit le dossier», explique Abderrahim Louaîi, le chef de ce service. Pour ce docteur en physico-chimie des macromolécules de l’université Louis Pasteur de Strasbourg, la plus grosse affaire d’explosif où il a eu à intervenir est celle des attentats terroristes du 16 mai 2003. «L’équipe a travaillé intensément. Dans un temps record, nous avons pu identifier les produits explosifs utilisés en l’occurrence le nitrate d’ammonium mélangé à du TATP. Le premier produit est en vente libre et n’est pas soumis à aucune réglementation car les agriculteurs l’utilisent pour fertiliser la terre. Le TATP est un peroxyde organique fabriqué à partir de produits couramment utilisés à savoir l’acide sulfurique, l’acétone (diluant de peinture), l’eau oxygénée (utilisée en photographie). C’était très précieux comme indice pour les enquêteurs pour élucider cette affaire», précise M. Louaii.

Autre affaire examinée par les soins de l’équipe du laboratoire de police scientifique, l’enveloppe suspecte qu’avait reçue le quotidien Al Ahdath Al Maghribia. Et d’ajouter : «L’enveloppe contenait une poudre blanche, une pile plate et un fil électrique. On pouvait penser qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Mais grâce à l’analyse, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une affaire sérieuse. La poudre était du TATP, capable de provoquer des lésions du visage ou des mains en cas de contact».

Le monde change, les sociétés évoluent rapidement sous l’impulsion des progrès scientifiques. La criminalité n’a pas échappé à cette évolution. Les méthodes utilisées par les criminels sont de plus en plus ingénieuses. La police a donc été amenée à adapter ses techniques en matière criminalistique pour pouvoir accomplir sa mission avec efficacité.

Faouzi Slaoui, chef du service Toxicologie et Stupéfiants, en sait quelque chose. «Les méthodes des criminels sont de plus en plus sophistiquées. Avec des méthodes chimiques pointues, ils ont réussi à dissimuler la cocaïne dans un tissu. Ils ont imbibé ce dernier de cette poudre. Pour la récupérer, ils utilisent d’autres procédés chimiques. Il faut être vraiment un grand chimiste pour réaliser ce genre d’opération», note ce docteur en génie biologique et médical.

Cette section, qui a pour mission d’identifier les drogues, leurs précurseurs et additifs sous différentes formes, a traité en 2006 près de 300 affaires. La dernière opération date du mardi 19 décembre 2006. Par courrier, ils ont reçu de la brigade de police judiciaire de Larache une poudre blanche suspecte d’être une drogue dure pour analyse.

Ces flics en blouse blanche jouent ainsi le rôle d’éclaireurs. Par leur action, ils contribuent à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, mais aussi à la lutte contre la délinquance au quotidien. Le soir, l’activité du laboratoire de police scientifique ne s’arrête pas : quelques techniciens scientifiques, en permanence, restent en éveil.

LNPS : Création et composition

Installé sur 2500 m2 et quatre étages, le LNPS est entré en activité en décembre 1995. Il se compose de trois grands pôles : le service de biologie, le service de toxicologie et stupéfiants et le service chimie, incendie et explosifs.

Construit selon les normes internationales, le laboratoire scientifique de police comprend également une chambre froide, une soute semi enterrée où sont emmagasinés des produits chimiques, une salle de scellés, des hottes aspirantes et un système de renouvellement d’air indispensable pour satisfaire les conditions d’hygiène. Le laboratoire dispose également d’une station de messagerie électronique pour communiquer en permanence avec les différents commissariats et départements. Le travail scientifique et administratif du laboratoire scientifique de police est assuré par une équipe de 35 personnes dont des docteurs en physique-chimie et biologie, des techniciens ainsi que des ingénieurs. La direction du laboratoire prévoit pour l’année prochaine d’étoffer son effectif et de renforcer son équipe scientifique. Une dizaine de personnes seront recrutés d’ici janvier 2007.

L’affaire Zouita et la technique du foulage

Dans cette affaire, qui a engendré une psychose dans la ville de Casablanca, l’équipe du laboratoire scientifique a fait du beau boulot. Grâce à la technique du foulage, les experts de cette fourmilière de talents pointus ont réussi à donner des preuves tangibles et irréfutables de la culpabilité de l’accusé. La lettre retrouvée dans le carton contenant le buste de l’une des victimes retrouvée au Maârif a été l’élément clé de l’affaire. Lors des investigations poussées, les enquêteurs ont récupéré, au domicile du tueur, un agenda dont une page manquait. Les experts du laboratoire ont réussi à établir, à travers l’opération de foulage, la copie de la lettre.

A trois heures du matin, les enquêteurs ont donc pu être informés. Mais entre-temps, l’assassin s’était donné la mort.

Khadija Skalli

Aujourdhui.ma

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