Des clandestins marocains racontent l’enfer libyen

Même pas une pierre tombale. (Imaginez le chagrin de la famille.)

Rien que pour le mois d’août dernier, deux embarcations surchargées de clandestins ont chaviré quelque part entre Zouara en Libye et Lampedusa en Italie. Le bilan a été des plus lourds. Quelque 400 victimes entre morts et portés disparus, dont plusieurs Marocains.

Parmi les marocains décédés dans ce double drame, Douane Aziz de Khouribga, 42 ans, trois enfants. Sa veuve, Aïcha, vit l’épisode le plus tragique de son existence. Malgré qu’elle porte des habits blancs en signe de deuil, elle reste incertaine quant au décès de son mari. «C’est un proche de la famille qui nous a communiqué cette nouvelle accablante. Mais rien d’officiel jusqu’à présent», souligne-t-elle. En effet, aucune information officielle n’est donnée par les autorités, qui observent un silence frustrant. Attitude condamnée par les familles des victimes et l’Association des familles et amis des victimes de l’émigration clandestine (Afvic).

La tentative de Aziz pour entrer sur le sol italien, via la Libye, a commencé le 8 août dernier. Le prix de son voyage (20.000 dirhams) a été négocié à partir de sa ville natale, à travers un recruteur qui vit également dans la cité phosphatière. L’organisateur du voyage, un Libyen appelé «Walid» dont le nom revient, avec celui de «Haj», dans la plupart des témoignages des victimes, lui a promis une paisible traversée dans un bateau de pêche. Des promesses qui se sont avérées par la suite de simples appâts pour attirer plus de candidats. Quelques jours après son arrivée en Libye, Aziz a fait part à sa famille des conditions inhumaines de son séjour.

Humiliations, faim et mauvais traitement lui étaient réservés, ainsi qu’aux autres candidats. Il vivait quelque part dans une grotte au milieu de la montagne, sous haute surveillance. Il avait précisé qu’il ne pouvait même pas s’échapper de cet enfer parce que ses geôliers l’en empêchent moyennant la force. «Si je ne donne pas de nouvelles dans une semaine, considérez-moi comme mort», était sa dernière phrase à sa famille. La seule nouvelle parvenue à sa famille a été effectivement celle de sa fin tragique. «Si seulement je pouvais être certaine de cette nouvelle», lance sa veuve, des larmes pleins les yeux.

La mort n’est pas la seule tragédie que peuvent affronter les candidats sur le territoire de la Jamahiriya. Les conditions de vie avant «l’embarquement» ou dans les prisons libyennes sont qualifiées par les rescapés de scandaleuses, voire déshonorantes. «Une autre forme d’esclavagisme sauvage», selon l’expression de Khalil Jemmah, président de l’Afvic. Un rapport publié le 13 septembre dernier par Human Rights Watch lève le voile sur ces conditions inhumaines. «Le gouvernement libyen fait subir aux migrants, demandeurs d’asile et réfugiés de graves violations des droits de l’Homme, notamment des passages à tabac, des arrestations arbitraires et des retours forcés», note-t-on dans le rapport.

Des témoins marocains contactés par «Le Matin du Sahara» à Khouribga et à F’quih Ben Saleh racontent cet enfer. Ils s’appellent Youness, Rachid, Jawad et Mokhtar. Leurs points communs : une lueur de désespoir dans le regard, une obsession sans limite par la vie à l’étranger et les séquelles de leur mauvaise expérience en Libye. Arnaqués, arrêtés par les autorités, dépouillés de leurs biens et finalement séquestrés dans la prison El Fellah de Tripoli (centre de détentions pour les officiels).

Jawad, 21 ans, avait passé presque un mois et demi dans ce centre. Pour son voyage, ce natif de F’quih Ben Saleh a payé 1.500 euros. Après trois jours passés en Tunisie, il a rejoint son passeur en Libye, qui n’est autre que le fameux Walid. Les premiers jours se sont déroulés dans une bonne ambiance mais les choses se sont compliquées avec le temps. Le jour J, plusieurs candidats ont été réunis de nuit sur la plage. Au moment de l’embarquement, des coups de feu tirés par la police ont retenti. «Plusieurs blessés sont tombés à mes côtés», raconte Jawad. Ceux qui ont été arrêtés ont été conduits au tristement célèbre centre d’El Fellah.

De leur côté, Rachid et Youness (deux frères) ont été interceptés dès leur arrivée à l’aéroport. Les éléments de la police les ont obligés à avouer qu’ils étaient des candidats à l’émigration même si rien ne prouvait qu’ils l’étaient, s’indigne Rachid. «Nous étions des voyageurs comme les autres», ajoute Youness. Mokhtar, lui, a été intercepté par une patrouille de la police au bord d’un taxi sur la route entre Tripoli et Zouara.

Les quatre victimes s’accordent toutes sur les conditions inhumaines de leur séjour dans le centre El Fellah. «Nous vivons à la merci des gardiens et l’ambiance dans le centre dépend de leur humeur du jour», raconte Jawad qui a passé presque un mois dans le centre. «Notre dignité était bafouée à longueur de journée. N’importe quel gardien peut vous passer à tabac sans raison apparente», ajoute-t-il, plein de rage. Selon les témoignages, les abus sexuels sont également fréquents au centre.

Pour quitter l’apocalypse, les candidats doivent payer leur billet de retour, s’ils ont encore de l’argent sur eux. Sinon, leurs familles doivent le faire à partir du Maroc. Mais pourquoi tant de retard au centre (45 jours pour Rachid et Mokhtar) quand les candidats disposent de leurs billets ? Les quatre témoins ainsi que l’Afvic s’accordent à accuser le «laxisme» des autorités marocaines en Libye. Selon eux, le responsable du consulat, chargé de la gestion du rapatriement des émigrés clandestins, privilégie ceux qui lui donnent un bakchich. Ceux qui n’ont pas de sous à lui offrir sont renvoyés aux calendes grecques.

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La Libye, le mauvais choix

A tous ceux qui désirent tenter le coup de l’émigration via la Libye, il serait instructif pour eux de jeter un coup d’œil sur le rapport de Human Rights Watch, intitulé «Endiguer la marée : Exactions à l’encontre des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés», publié le 13 septembre.

Selon ce rapport pour le moins accablant, «les autorités libyennes arrêtent arbitrairement les étrangers sans papiers et les maltraitent pendant leur détention». «Les violences physiques subies au moment de leur arrestation constituent un problème récurrent», révèle Human Rights Watch.

Toujours selon le rapport, les étrangers qui avaient passé un certain temps en Libye ont fait état de mauvais traitements en détention, notamment des passages à tabac, une surpopulation carcérale, des conditions médiocres, l’impossibilité de consulter un avocat et l’accès limité à l’information en attendant l’expulsion.

Selon des statistiques gouvernementales, quelque 600.000 étrangers vivent et travaillent légalement en Libye, pays qui compte une population d’environ 5,3 millions d’habitants. Mais la présence sur le territoire d’1 à 1,2 million d’étrangers en situation irrégulière pèse sur les ressources et les infrastructures.

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Nouveau passage

Depuis le renforcement des mesures de surveillance par l’installation de nouveaux radars sur les côtes marocaines et l’intensification des patrouilles, réussir le passage vers l’Espagne dans une patera est devenu pratiquement impossible.

D’où l’entrée en jeu des passeurs libyens. Selon Jemmah, plus de 50 % des candidats optent désormais pour un passage via ce pays. Le prix du voyage varie entre 20.000 et 80.000 dirhams selon les risques à courir. Une somme que les candidats auront sûrement plus à gagner en la gérant mieux chez eux.

Mohamed Akisra

LE MATIN

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