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Comment j’ai tué ma femme…

Avant de dire quoi que se soit, je tiens à préciser que si j’ai tué cette femme, c’est que j’avais des raisons valables pour le faire. Je ne suis pas un assassin, je n’avais jamais mis les pieds dans un commissariat avant mon arrestation pour ce meurtre. C’est vous dire que les problèmes, je ne connais pas. J’ai toujours été un homme pacifique et calme. Je n’ai jamais frappé cette femme, ni lui ai adressé la moindre insulte. Mais le jour où j’ai été trahi, je n’avais plus aucune autre solution. C’était cela ou la folie”. L‘homme a donc tranché. Pour éviter sa propre chute, il a décidé d’en finir avec la femme qui partageait son existence. Du jour au lendemain, quelque chose a basculé.
La femme tant aimée est devenue l’ennemie, celle qu’il faut annihiler pour se payer une bonne conscience. En somme, c’est en substance ce que Aziz laisse entendre en parlant de “cette” femme et du choix à prendre face à l’irréparable.
Un couple heureux
“Sept ans de mariage. Nous étions très proches. C’était une vieille histoire. On s’était connu plus jeune, on s’était quitté et puis le destin nous a réunis à nouveau. Et c’est là que nous avons décidé de nous marier. J’ai toujours aimé cette femme, même quand on s’était perdu de vue, elle était toujours là. Vous savez ce que c’est quand une femme vous obsède après une rupture sans fracas. J’ai attendu et elle est revenue un beau jour”. Quand on écoute Aziz détailler sa vie de couple, on est presque pris de malaise. Il a une telle faculté à mettre des mots exacts sur des situations précises, et aucune gêne ne vient ternir l’éclat de son récit. Il parle de son amour, de sa passion, du corps de sa femme, de “cette” femme aujourd’hui plus vivante parce que morte, par ses propres soins. Dans un sens, il viendra lui-même à affirmer que par ce meurtre, il s’est approprié cette femme pour toujours. L’ultime acte humain de la possession pour ne rien laisser échapper de la passion. “Comment vous expliquer comment elle était avec moi ? Normale, une femme qui me laissait voir tous les jours qu’elle était amoureuse de moi. C’était une femme moderne aussi, un peu indépendante, mais elle me montrait beaucoup de respect, ce qui l’a rendue irremplaçable pour moi. Une femme qui vous témoigne autant d’estime vous met à jamais dans son cœur. Et elle savait y faire. En plus c’était une beauté, cette femme”. C’est presque une histoire banale et belle dans sa banalité entre un homme qui cherchait de la considération et une femme qui a trouvé un écrin qui lui sied. Jusque-là tout va bien surtout qu’Aziz dit avoir été d’une grande attention et d’une générosité à toutes épreuves à l’égard de sa femme. “Elle ne manquait de rien. Il est vrai que je ne suis pas riche, mais je suis un homme responsable. J’ai fait ce que j’ai pu et je crois que sur ce chapitre, je n’avais rien à me reprocher”. Aussi, précise-t-il, il y avait des moments de crises, des tensions, des passages à vide, mais tout était surmontable pour un couple qui nageait dans l’idylle.

L’amant fait surface
Qu’est-ce qui pousse une femme à prendre un amant ? Question importante à laquelle Aziz n’a pas voulu répondre. Il dit que quoi qu’il arrive une “femme n’a pas le droit de tromper son mari”. Il est catégorique et refuse que l’on tergiverse sur les besoins d’une femme, les incapacités des hommes, le mal au creux du ventre, le désir, la chair qui faiblit et toute la littérature sur le plaisir charnel et tout ce qui s’ensuit. Pour Aziz, il est inutile de chercher des explications. Aussi ouvert qu’il se prétend, il ne pouvait se trouver des tares que sa femme pouvait combler ailleurs. Lui était donc parfait et sa femme devait être satisfaite. Quand on lui dit que peut-être leur sexualité battait de l’aile et qu’il n’était pas l’étalon qu’il croyait être, il se rebiffe et entame une ronde sur ses exploits de mâle qui assure. “Je sais ce que je dis, elle était satisfaite. Et moi j’ai toutes mes forces pour moi, alors n’allez pas croire que c’était cela qui l’avait poussée à me tromper avec un autre”. Quelle est cette raison autre qu’Aziz appelle de tous ses vœux ? Il dit que c’est “le vice”. Il est convaincu que si “cette” femme a agi de la sorte c’est qu’elle portait en elle des désirs honteux que lui ne pouvait jamais nourrir. Inutile non plus de pousser plus loin l’analyse sur ses fameux désirs honteux qui à son sens justifient largement le crime. Mais les choses coincent avec Aziz quand on aborde le chapitre de la sexualité. Il s’énerve, s’impatiente et refuse tout argument qui n’abonde pas dans son sens. Autant dire que cet homme contrarié n’arrive pas à s’expliquer pour lui-même que la perception humaine est loin d’être ce que l’on croit de notre propre point de vue, et que pour chacun la vérité, la sienne, prend des allures tellement complexes, malgré leur évidence, qu’il est impossible pour qui que se soit de trouver son compte. Alors pourquoi les choses ont dérapé ? “C’était dans sa nature. Elle ne pouvait vivre autrement, c’est ce qui a fait qu’elle a choisi mon meilleur ami pour me tromper”.

Le meilleur ami de l’homme
“Nous étions amis depuis l’adolescence. Nous avons couché avec des filles ensemble, fait la bringue partout dans le pays, nous avons beaucoup partagé. Je peux dire que je lui faisais confiance. Mais il m’a poignardé dans le dos en couchant avec cette femme. Mais pour moi, quand une femme décide de ne pas se laisser toucher par un homme, elle sait dire non et elle arrive toujours à dissuader les assauts de l’autre. Mais là, j’étais convaincu qu’elle le voulait et c’est pour cela que j’en ai plus voulu à la femme qu’à ce type”. Aziz devient amer. Il reprend cette vieille histoire avec beaucoup de passion, et on se rend très vite compte que l’homme vit toujours ce drame familial avec une telle intensité qu’il n’arrive pas à s’en sortir. “Oui, je suis toujours rongé par cette histoire. Ce n’est pas une mince affaire. Cette femme m’a humilié, elle a tué en moi beaucoup de choses. Je vis avec et c’est très dur, vous ne pouvez pas, personne ne peut imaginer ce que c’est d’être ainsi trahi”. Aziz détaille là aussi tout ce qu’il savait de la liaison secrète de “cette” femme avec ce “meilleur ami”. Des mois et des mois de torture sont décrits avec des précisions affolantes. Poursuites, filatures, surveillance rapprochée, fouilles dans les sacs, numéros de téléphone répertoriés et toute la paranoïa d’un homme sous influence. “Je savais même quand elle le voyait, où ils couchaient ensemble et j’attendais le moment pour réagir. Je ne sais pas comment j’ai pu tenir, mais j’ai réussi à attendre pour voir jusqu’où elle ira dans le mensonge. Et elle est allée plus loin que je ne pensais”. Cette histoire de patience est en somme une façon de s’infliger les pires tortures. Aziz ne l’avoue qu’à moitié. Sans faire de la psychanalyse à deux sous, on peut aisément voir que ce bonhomme avait un penchant certain pour l’automutilation. Pourquoi attendre tout ce temps avant de confronter sa femme, de lui parler, de poser les points sur les “i” ? Voulait-il tuer dès le premier jour où il a su pour l’amant et sa femme ? Il ne dira rien, mais il confie qu’il était comme anesthésié par tout ce qui se jouait devant ses yeux.

Descente aux enfers
Un mélange de lassitude et d’amertume marque la vie d’Aziz pendant toute cette période où “cette” femme voyait son “ami”. Il ne sait comment vivre, mais il arrive à faire semblant : “cela venait tout seul. Je pensais que ceci allait être dur, mais devant le fait accompli, j’étais presque de marbre et elle ne se doutait de rien. Pour elle, je ne savais rien et lui non plus ne se doutait de rien. J’ai continué à le voir soit chez moi soit dehors comme si de rien n’était. Et elle faisait semblant qu’elle était heureuse avec moi”. Mais peut-être que cette femme était heureuse dans cette configuration à trois. Peut-être que c’était là où elle avait trouvé un équilibre à sa mesure. Pourquoi pas, après tout si tout le monde pouvait s’en accommoder ? Mais ce n’était pas le cas d’Aziz qui mijotait son affaire en attendant que la marmite éclate en mille morceaux. “Je ne dormais plus de la nuit. Elle ne se rendait compte de rien puisqu’elle dormait du sommeil du juste. Elle me mentait sur ses déplacements, qui elle avait vu, avec qui elle avait eu une conversation au téléphone et elle multipliait les erreurs, et moi je prenais tout sans réagir. Des fois, tard dans la nuit, j’étais pris d’étouffement et je voulais lui crier tout ce que je savais, mais une boule dans ma gorge m’empêchait de tout sortir. Alors je faisais semblant de dormir. Et elle ne se souciait de rien”. Aziz sait qu’il glisse lentement et sûrement dans la folie. Il le sait d’autant plus qu’il analysait très bien ses réactions. Il savait que plus il attendait, moins le retour en arrière sera aisé à faire. Mais il n’y peut rien, c’était plus fort que lui. La douleur, la haine, la rage gagnaient du terrain en lui et il était réduit à un champ de bataille en ruines où plus aucune décision ne pouvait le sauver. Restait l’irréversible. Restait l’horreur pour tuer dans un mal plus grand son propre mal. Et Aziz décide d’y aller pieds et mains liés.
L’heure de vérité
“Quand j’ai décidé d’en finir avec tout cela, je n’avais rien vu venir. J’étais dans un flou terrible jusqu’au moment où tout a éclaté. J’avais passé la journée à la maison normalement avec les mêmes idées en tête. Je savais où elle allait, j’étais sûr de son mensonge et je laissais faire. Il faut dire que j’étais presque distant de tout cela ce jour-là. Je savais que le temps était venu, mais à aucun moment je ne me sentais près à quoi que se soit.” La femme ne se doutait de rien. Elle n’a pas vu venir le coup. Ce qui est sûr, c’est que son heure avait sonné depuis longtemps et le projet a pris le temps de mûrir dans le cœur et la tête de celui qui allait frapper le coup fatal à la tombée de la nuit. Ce qu’Aziz laisse entendre, c’est qu’il a tenu à consommer, une dernière fois, encore une fois, le corps de cette femme dont il allait se priver pour toujours. On imagine un homme se rapprocher de sa femme, celle qui vient de quitter les bras d’un autre pour se réfugier dans celle d’un autre homme qu’elle doit certainement aimer, malgré l’abandon aux désirs d’un autre. “Ce que je peux vous assurer, c’est que j’ai toujours été amoureux, même ce jour-là, j’ai agi par amour dans un sens”. Bref, un homme qui tue sa femme et dissimule son cadavre en faisant croire à une fugue (heureusement que ce couple était pris dans des affaires très érotiques pour ne pas penser à la progéniture) a toutes les raisons de croire qu’il agit par amour. Dans un sens, cela soulage sa conscience, mais en fait ce qu’il allège par delà tout c’est son esprit encombré par tant de projets de meurtres avortés à chaque fois qu’il était incapable de passer à l’acte. Bref, ce soir-là, une dernière étreinte, des ébats sulfureux puisque dans ce mélange de deux corps, il y avait au moins un qui bouillonnait comme un volcan qui préparait sa lave rougeoyante. On s’aime encore une dernière fois comme dans la chanson “faisons l’amour avant de nous dire Adieu” et l’Adieu d’Aziz devait être de ceux qui sont irrévocables. Aucune chance d’y échapper pour la belle éprise d’une étreinte finale. Elle ne le savait pas, lui en goûtant à un dernier plaisir a dû y mettre toute la quintessence d’une vie d’amertume. Autant dire le coup de grâce dans toute l’acception du terme. Un homme sur une femme qui se laisse aller surtout que le mari a pris soin de la droguer un peu sans qu’elle s’en rende compte. Puis elle s’endort presque et ne sait plus ce qu’elle fait et lui décide alors d’en finir. Il n’a pas le courage de la voir se débattre, il sait qu’il pourra abandonner encore une fois son plan, mais il est enfin prêt à sauter dans l’abîme. Un poignard plonge dans le corps chaud et langoureux de la femme nue… Fin de partie.

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