Ces mendiants qui savent se remplir les poches

Pour faire un maximum de bénéfices, les méthodes de mendicité se « modernisent» incontestablement ! Les mendiants utilisent, à chaque fois, de nouvelles techniques.

Pour avoir une idée plus développée sur ces méthodes, nous avons suivi un mendiant souffrant d’une trisomie 21. Notre journée commence à 8 heures du matin avec ce mendiant, pas comme les autres, qu’on va appeler Ali.

A l’instar des jeunes femmes qui te donnent des feuillets résumant leur triste vie et charges familiales, Ali est spécialiste dans la mendicité dans les bus. Décidé de bien commencer sa journée, Ali «mettra en valeur» tout son talent de mendiant.

Durant son trajet de trois arrêts dans la ligne 87, il récita avec une voix balbutiante quelques versets Coraniques, implora la compassion des passagers et fixa avec ses petits yeux quelques vieilles bonnes femmes.

Sa maladie lui facilite la tâche et sa méthode apporta vite ses fruits. Avant même de terminer le «monologue» appris par cœur, les pièces atterrissent de tout bord sur sa petite main tendue.

Vêtu d’une chemise beige à col usé et d’un vieux pantalon gris, Ali ne perd pas de temps. Une fois ses 10 DH d’aumône en poche, il prend un deuxième bus à côté de Derb Omar. Cette fois son choix tombe sur la ligne numéro 90.

Apparemment, c’est la gentillesse du chauffeur, le nombre et la nature des passagers qui décident de ce choix. En toute discrétion, on a «admiré» le talent de ce trisomique 21. Face à l’indifférence des passagers, Ali va sortir le grand jeu.

Il commence alors à pleurer, tout en récitant Sourate «Al-Fatiha». Ses larmes sécheront aussitôt qu’il ait les 10 premières pièces. Ali ne renonce devant rien. Durant deux heures, il va alterner entre larmes et discours touchants. Certes, il prend plus de temps que les autres mendiants pour réciter ses propos mais il réussit mieux son coup.

Entre 8 et 10 heures, il a fait environ 24 bus. Un nombre qui lui permet de gagner au moins 100 DH dans ces heures de pointe. Où va cet argent ? Ali en donne pour de vrai à sa mère malade ou à un chef de réseau des mendiants? Il ne pourra nous donner aucune réponse avant de se perdre dans les ruelles de «Sbata».

Une seule chose est certaine, c’est qu’il a plus de chance et de talent que les autres mendiants atteints d’un handicap mental. ainsi pour Mohamed qui prend souvent la ligne 87 entre les arrêts de Casa-Voyageur et Zerktouni ou Derb Ghalef.

Ce jeune attardé issu d’une famille de la classe moyenne, ne manque pas d’argent. Mais chaque matin, il essaie vainement de séduire les jolies passagères. Il les surprend avec sa phrase habituelle: «Tu es très belle. S’il te plait donne moi de quoi manger, j’ai faim».

A chaque fois, il espère que ses cibles seront aussi généreuses que belles face à sa galanterie spontanée. Toutefois, il semble miser sur les mauvaises «proies», car il descend souvent sans le moindre sou, surtout en présence des agents de police et voisins qui connaissent trop bien son niveau de vie. Un passager remarque: «il mendie plus par hobby que par besoin».

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Un gamin devenu un vrai professionnel

Professionnalisme et ruse sont devenus les maîtres mots de la mendicité au Maroc. Ainsi, des vendeurs de kleenex, chewing-gum et autres passent facilement du commerce ambulant à la demande de charité. Ils marquent bien leurs territoires et choisissent les points stratégiques et les méthodes d’apitoiement avec une grande application. C’est le cas de ce petit garçon installé au quartier Mâarif en face d’une grande franchise internationale.

A peine âgé de 5 ans, Saïd sait très bien gérer sa petite affaire. Incapables de décevoir ce petit bout d’homme, les passants succombent presque tous à ses désirs. Ne me donnez pas de l’aumône mais achetez mon chewing-gum, c’est ainsi que Saïd arrive à convaincre ses clients d’en acheter un paquet à 4 DH.

Seulement, il sélectionne minutieusement ses cibles parmi les couples et jeunes filles du Mâarif. Il vend aussi à des voisins et des personnes qu’on connaît, affirme la sœur de Saïd qui le guette tout au long de sa journée de travail. Selon cette adolescente de 16 ans, Saïd est le plus rusé pour assurer une telle tâche : Après la maladie de notre mère, il y a 6 mois, j’étais obligée de quitter l’école pour lui acheter son insuline et subvenir aux besoins de mes frères.

Seulement Saïd a trouvé la bonne méthode pour nous aider. Muni de ses paquets de chewing-gum et de beaucoup de fierté, le petit garçon a lié plusieurs amitiés sur son territoire de travail. J’ai un frère jumeau, mais il n’arriverait jamais à s’en sortir comme je le fais, indique-t-il. En effet, en six mois, il a fait ses preuves dans un secteur généralement géré par des réseaux bien organisés.

Grâce aux relations de Saïd, nous n’avons jamais eu de problème. En cas de rafle, les agents de police nous demandent de quitter le secteur durant un certain temps, indique la sœur du petit commerçant.

Souvent habillé d’un vieux tee-shirt jaune, le visage brûlé par le soleil, Saïd sillonne les trottoirs et rues du Mâarif. Il colle aux passants, leur tient la main et fait le petit orphelin travailleur pour rentrer enfin de journée avec 40 ou 50 DH. A chacun sa méthode !

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Des enfants loués pour faire la manche

Le phénomène de la mendicité n’épargne personne. En plus des vieillards et malades mentaux, des enfants et parfois même des nourrissants sont également enrôlés pour mieux exciter les faveurs des passants. Certains mendiants professionnels ne lésinent sur rien pour attendrir les passants les plus circonspects quitte à louer ou « emprunter » les enfants des autres. L’histoire de cette jeune maman qu’on va appeler Amina ne fait que confirmer une fois de plus le « génie » ou plutôt la cruauté de certains réseaux de mendiants.

Amina, comme la majorité des mères travailleuses laissaient ses deux enfants sous la garde de la bonne. Durant des années, elle se vouait à son travail, croyant qu’elle maîtrisait la situation chez elle. Toutefois, ses deux petits anges n’avaient rien de la vie qu’elle a programmée. Il a fallu deux ans environ pour qu’elle se rend compte de ce qui se passe chez elle ou de ce qui ne se fait pas à sa demeure. Un jour de la semaine, Amina rentre plutôt chez elle pour prendre soin de ses mômes. Surprise ! Personne n’est là ! Affolée, la brave femme imagine tous les scénarios possibles : « Ils ont eu un accident, ou peut-être qu’ils ont été kidnappés,…».

Des tas de questions et de suppositions auxquelles la police pourrait yrépondre. En effet, des heures après, les agents de la police reviennent avec la bonne et les gamins en main. Rien de grave, ils étaient juste en train de mendier au coin d’une ruelle casablancaise.

Malheureusement, la mère ne pourra pas porter plainte ni nous dévoiler sa vraie identité par peur que le «mafia» de son ancienne bonne ne se venge sur ses enfants. Rappelons qu’une enquête du ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité avait auparavant indiqué qu’environ 15% des enfants de moins de 17 ans, utilisés par les adultes, n’ont pas de relations ni aucun lien de parenté avec les personnes les accompagnant.

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Centre social Tit Mellil… une voie de garage

Lors de son ouverture, le centre social de Tit Mellil représentait un soulagement pour les résidents du centre d’El Hank qui voulaient échapper à la violence et au système carcéral. Mendiants, enfants abandonnés et personnes sans ressources financières ont bâti des rêves sur les nouveaux programmes et méthodes de réinsertion sociale promises.

Seulement les apparences sont souvent trompeuses.

Selon certains anciens résidents de cette pension sociale, le centre ressemble plus à un dépotoir humain qu’à un organisme de réintégration. Dans ce bâtiment de Tit Mellil, se côtoient enfants en situation précaire, prostituées, clochards et personnes malades.

On peut même trouver des citoyens interpellés lors d’un simple contrôle d’identité. L’unique délit de ces frustrés pensionnaires est la misère ou tout simplement la malchance. Erigé sur 12 hectares environ à 6 kilomètres du sud-est de Tit Mellil, ce centre social est destiné à accueillir 400 personnes.

Les pensionnaires de Tit Mellil ne sont classés ni par catégorie ni par âge. Selon un ancien résident du centre, on peut trouver des enfants abandonnés de 8 ou 10 ans logés à côté des vieillards ou personnes atteintes de maladies graves. «Quant aux petits installés avec leurs mères en situation précaires, ils deviennent souvent un patrimoine permanent du centre», indique une source sous couvert d’anonymat.

Les moins jeunes interpellés lors des rafles n’ont pas plus de chance. Cette catégorie d’adolescents peut être installée dans les chambres des adultes ou plutôt des vagabonds et clochards, apprend-on de la même source qui préfère surpasser la description des abus et agressions dans ces pavillons. Le programme de réinsertion est alors le dernier souci de ces pensionnaires.

Une fois installés au centre de Tit Mellil, ils appartiennent aux oubliettes. C’est le cas d’Ahmed arrêté par la police en 2003. Par malchance, il avait oublié sa carte d’identité à la maison. Vu son look, les agents de la police n’ont rien voulu savoir. «Ils m’ont pris pour un mendiant. Je n’ai même pas eu le temps de prévenir mes enfants», indique ce Casablancais sexagénaire.

Après une escale au vélodrome, Ahmed se retrouva au centre de Tit Mellil pour le délit de vagabondage. Et là commence pour lui une semaine de tourmente et de torture. «Même au sein d’un centre social, il faut avoir des ressources financières pour échapper au despotisme des chefs», nous confie-t-il les larmes aux yeux. Il nous a raconté que trois ans après, il sent toujours les odeurs nauséabondes des toilettes et la sueur d’une centaine de personnes entassées dans la même chambre.

Heureusement pour lui qu’un des «chefs» a accepté de contacter sa famille contre une somme de 50 DH. Malheureusement, des histoires plus tristes se tissent derrière les murs de cet endroit isolé, qui manque d’assistantes sociales, de services de base mais aussi d’une simple ligne téléphonique. Les responsables ne veulent apparemment aucun lien avec la société extérieur.

Nadia Ouiddar | LE MATIN

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