Nous sommes reçus dans la maison de Saâd, le frère d¹une des femmes inculpées et détenues dans la prison d¹Inzegane. Dans le salon nous attendent les frères, soeurs, pères et mères des détenues. Interrogées sur leurs attentes et besoins, les familles nous indiquent qu¹elles souhaitent avoir toutes les réponses à leurs questions : Qu¹est-ce qui a motivé les agissements du touriste belge? Étaient-ils l¹oeuvre d¹un seul individu? D¹une association? A-t-il agi avec la complicité d¹une tierce personne? Les photos ont-elles été divulguées publiquement par d¹autres voies que celles connues jusqu¹ici, en l¹occurrence le C.D. et le site Internet?
Autant de questions qui restent aussi pendantes que douloureuses, même si le fardeau est déjà moins lourd aujourd¹hui car il est partagé. En effet, à l¹initiative de Abderrahmane Yazidi qui a réussi à réunir 5 familles sur 13 dans le but de leur faire rencontrer les visiteurs belges, les familles se rencontrent, ce soir, pour la première fois.
Abderrahmane Yazidi, Secrétaire général du Syndicat national des officiers et marins de la pêche en haute mer et défenseur infatigable des détenues et de leurs familles, les encourage à se structurer en un groupe qui ferait leur force : «mieux vaut deux personnes réunies que dix divisées» clame-t-il inlassablement. Et de poursuivre : «Cet effort de collectivité doit être fait car les familles ne sont pas soutenues par les associations, quelles qu¹elles soient. Il s¹agit pour ces dernières de faits de débauche qu¹elles ont classé au rayon des scandales et elles ne souhaitent pas que leurs noms y soient associés».
La peur du scandale a déteint jusque sur certains avocats qui, d¹après les dires de Wafa, soeur de Majdouline, ont refusé de défendre les femmes figurant sur les photos à caractère pornographique. «Dès qu¹on prononçait le mot «C.D.», ils fuyaient», explique la jeune femme, en serrant son fils dans ses bras. La présence de ce petit m¹interpelle sur l¹impact de cette affaire sur les enfants touchés par cette affaire, comme ce jeune garçon, qui écarquille les yeux en tentant de comprendre pourquoi sa tante est sous les verrous. Je chuchote ma question à l¹oreille de Bénédicte Vaes qui me répond : «C¹est effectivement une catastrophe pour les enfants. J¹ai rencontré une grand-mère dont la fille, qui figurait sur les photos, a fui la maison car elle est recherchée par la police. C¹est elle qui subvenait aux besoins de sa famille et sa mère aujourd¹hui mendie avec ses deux petits-enfants».
Ce samedi après-midi, la première rencontre entre Redwan Mettioui, l¹avocat belge qui a dû avoir entendu parler de l¹affaire d¹Agadir,et qui s¹est spontanément déclaré prêt à soutenir juridiquement les femmes et leur famille, va se dérouler dans les locaux d¹un bureau d¹avocats où nous attendent les mêmes membres des familles que la veille. La rencontre de cet après-midi est importante car elle permettra à l¹avocat belge de prendre connaissance des faits et de juger de l¹opportunité et de l¹éventualité d¹une poursuite à l¹encontre de l¹auteur présumé des faits. Maître Mettioui écoute attentivement, prend des notes, demande des éclaircissements aux frères, soeurs, pères et mères assistés de leur conseil juridique. Chaque détail, chaque précision a son importance. Les familles sont dignes et leur demande très claire : toutes attendent que l¹auteur présumé des faits soit aussi rendu coupable de ses actes. Si elles se sont inclinées face au verdict rendu par la justice à l¹encontre de leur fille elles souhaitent néanmoins que justice leur soit rendue dans cette affaire qui les a déshonorées, salies, mises au ban de la société. Car si les filles ont été jugées par les tribunaux, les familles, quant à elles, sont soumises au verdict populaire rendu par la rue où les chuchotements d¹hier se sont amplifiés et fait place aux railleries ou leçons de morale ouvertement exprimées. La réunion est longue et Redwan Mettioui, visiblement éprouvé par les témoignages me souffle : «Que d¹histoires de vies brisées !».
Saâd, le frère de l¹une des accusées, poursuit dans le même sens, comme s¹il nous avait entendus : «Cette affaire va amener à «l¹explosion» de nombreuses familles». Ne pouvant plus contenir ses larmes, il s¹interroge quant à l¹avenir des femmes dont celui de sa soeur : «Que vont-elles devenir à leur sortie de prison? Qui les engagera dans le cadre d¹un contrat de travail? Qui les épousera? Comment supporteront-elles les regards dans le quartier?».
Effectivement, ces questions nous taraudent tous et nous allons rencontrer ce soir Monsieur Benmanzhar, un représentant de l¹Association marocaine des droits de l¹Homme. Il nous précise d¹emblée que l¹organisation n¹est pas intervenue car le procès et le jugement rendus étaient équitables, dans le cadre de la justice marocaine. «Toutes les procédures ont été respectées et nous n¹avions rien à reprocher à la justice marocaine . Ce qui est loin de contenter Maître Taha, qui dénonce le manque de temps et les conditions de travail des avocats pour assurer la défense de leurs clientes.
Ce dimanche matin nous rendons à l¹Association Oum El Banine, une association qui existe depuis 2001 et dont l¹objectif principal est de soutenir les mères célibataires en leur apportant une aide concrète jusqu¹à ce qu¹elles acquièrent une certaine indépendance. Dans cette association aussi, les responsables nous assurent qu¹ils ne peuvent publiquement soutenir les femmes arrêtées. «Cela nous discréditerait dans le cadre de notre travail et la société berbère du Souss ne comprendrait pas. Nous avons déjà eu tant de mal à construire la confiance et prouver le bien-fondé de nos actions».
Le temps a filé et l¹heure du départ approche : les deux avocats Taha et Mettioui mettent les bouchées doubles car «il s¹agit à présent d¹identifier précisément chaque plaignante et plaignant, de procéder à une analyse scrupuleuse du dossier de chacune des détenues et en particulier des procès-verbaux dressés par les autorités judiciaires marocaines». Franchement mandaté par les familles, Redwan Mettioui finalise un projet de plainte qui sera déposé en Belgique. Les deux avocats «après avoir procédé à l¹analyse des dispositions légales belges permettant de poursuivre, en Belgique, l¹auteur présumé des faits» arrivent à la conclusion qu¹une plainte déposée en Belgique pourrait aboutir.
«Ce serait une excellente chose pour ces femmes», souligne Abderrahmane Yazidi, «car elles seraient ainsi réhabilitées et auraient le statut de victimes après avoir été condamnées pour des actes délictueux». Il insiste aussi sur le volet psychologique et ajoute : «C¹est aussi un soutien extérieur pour ces femmes que les associations, même celles qui sont réputées les plus progressistes n¹ont pas soutenu par peur d¹être assimilées à des associations défendant ou incitant à la débauche».
Néanmoins, dans la frilosité ambiante, des marques de soutien commencent à voir le jour comme l¹éditorial courageux du quotidien «l¹Économiste» de ce week-end, signé par Mohamed Benabid. Titré «les sorcières d¹Agadir», l¹Édito s¹interroge sur l¹opportunité des procès «qui ont entraîné des filles sans antécédents judiciaires dans une affaire où elles s¹apparentent plus à des victimes qu¹à des coupables». Le journaliste invite la société «qui ne pardonne pas, qui ne discerne pas entre coupables et victimes» à «se livrer à un examen de conscience». Et de conclure, «à Agadir, beaucoup de ces femmes ont été victimes naïvement de promesses de mariage, de papiers. A quelle hauteur doivent-elles en supporter les conséquences?». La question reste ouverte certes mais peut être que la multiplication de prises de position aussi courageuses que minoritaires, comme celle-ci, est la bonne voie vers l¹ouverture d¹un débat serein pouvant aboutir à de franches avancées.
Fatiha SAIDI
Députée bruxelloise socialiste
source:albayane