La Gazette du Maroc : près de deux ans après l’éclatement de l’affaire Mounir Erramach vous avez décidé finalement de rompre le silence. Quelles sont les raisons ?
Touria Tétouani ( Erramach ) : ce qui nous a poussé à communiquer aujourd’hui c’est l’état de santé déplorable de mon fils et les conditions de détention inhumaines dans la prison civile de Salé. Mon fils qui a été condamné injustement à 23 ans de prison assortie d’une amende de 30 milliards de centimes, pour un procès qui a été monté de toutes pièces, souffre doublement sans que personne au niveau de la direction des prisons n’ait intervenu pour lui porter secours. Mounir Erramach est aujourd’hui gravement malade et son état de santé nécessite son transfert dans l’immédiat à l’hôpital pour une opération chirurgicale des reins. Selon les médecins qui l’ont consulté quand il était à la prison de Tétouan, Mounir présente une lithiase rénale aigue nécessitant une intervention médicale urgente. Depuis quelques mois déjà, il a eu plusieurs crises très chroniques et insupportables sans toutefois être pris en charge par les médecins de la prison civile de Salé. A chaque fois qu’il demande à être transporté dans un hôpital, la direction de la prison lui somme un non catégorique et sans appel. Il y a quelques semaines, les responsables de cette même direction sont allés jusqu’à refuser le dossier médical au consul d’Espagne au Maroc qui a rendu visite à Mounir Erramach.
C’est inadmissible et inacceptable surtout qu’aucun règlement ni aucune loi n’autorise une telle conduite de la part de l’administration pénitentiaire à l’égard d’un détenu de droit commun. Un détenu qui n’a pas encore puisé toutes les voix de recours pour casser le premier jugement abusif et injuste de la Cour d’appel de Tétouan. En plus de tout cela, Mounir vit depuis bientôt trois mois isolé des autres détenus dans une miniscule cellule non aérée dans le pavillon des détenus de la Salafia Jihadia. Il est privé arbitrairement de visites, à part celle de sa femme, de panier , de médicaments et de discussion avec les autres détenus et les gardiens.
L.G.M : mais comment expliqueriez-vous cet acharnement de l’administration de la prison civile de Salé à l’égard de votre fils ?
T.T : je ne peux pas répondre à cette question pour la simple raison qu’aucun de nous n’arrive à expliquer cette situation. C’est une question à poser plutôt aux responsables du ministère de la Justice. Une fois, je pense, l’un des responsables de la prison de Salé nous avait dit : qu’ils avaient peur pour lui ! Mais contre qui et quoi ? Qui, à votre avis, cherche la peau de mon fils ? Personne à ma connaissance. C’est une bonne excuse pour s’acharner contre mon fils dont le seul tort est d’avoir trempé dans la contrebande des cigarettes. Je le dis et je le répète, Mounir Erramach est innocent et n’a jamais plongé dans le trafic de drogue. C’était le bouc émissaire idéal présenté à l’opinion publique en été 2003 comme le baron de la drogue du nord et le narcotrafiquant international le plus important dans cette région. C’est faux et son histoire a été montée de toutes pièces pour détourner l’attention sur les véritables barons qui continuent de sévir en toute impunité au Nord du pays. Je défie quiconque, aujourd’hui, pouvant apporter des preuves concrètes sur l’implication effective de mon fils dans les réseaux de trafic de cannabis.
L.G.M : laissons cela de côté pour l’instant et dites-nous pourquoi avez-vous décidé d’attaquer l’Etat marocain devant le tribunal administratif de Rabat.
T.T : cette démarche se justifie d’elle-même. Mounir Erramach souffre seul et en silence à la prison civile de Salé et il fallait bien entreprendre cette action pour faire cesser cette injustice. C’est une action déclenchée le 6 juillet courant par la famille contre l’Etat marocain en la personne du Premier ministre, le ministre de la Justice, le directeur des établissements pénitenciers du pays, le directeur de la prison civile de Salé pour préjudices subis par mon fils sur les plans moral et matériel. Par cette démarche, nous voulons que justice soit faite avant que ce ne soit trop tard. Je vous le dit une fois encore. Mon fils est en danger de mort. Il doit absolument être transféré dans un hôpital pour être soigné. C’est le minimum qu’on peut accorder à un détenu. Entre ce que disent les responsables du ministre de la Justice à propos de la réforme du monde carcéral et ce qui se pratique à l’encontre de mon fils, il y a un énorme fossé. Vous savez que pour se rendre au parloir de la prison pour y rencontrer sa femme, mon fils est transporté du pavillon M, celui des détenus de la Salafia Jihadia, dans une voiture escortée par quatre agents de la DST. Ces derniers restent collés à lui pendant toute l’entrevue et gare à mon fils où à sa femme, qui sont de culture hispanophone, s’ils lâchent un mot en espagnol. Cela marquerait la fin de la visite et le départ de ma belle-fille dans des conditions intolérables.
Alors qu’au même moment les détenus islamistes bénéficient d’une certaine liberté et peuvent recevoir autant de membres qu’ils souhaitent de leurs familles.
L.G.M : vous avez été incarcérée et jugée à une année et demi dans le cadre du procès de votre fils. On vous a accusé de complicité et de trafic de drogue. Qu’en est-il réellement ?
T.T : mon procès est une anecdote qui doit rester dans les annales de la justice marocaine. On m’a inculpée pour trafic de drogue sur la base de possession d’un jet ski que j’avais acheté pour mes petits-enfants. Je vous l’assure. Ça peut vous paraître bizarre, mais la justice marocaine m’a condamnée, moi qui est une vieille femme, à une année et demi de prison pour avoir mis le jet ski au bord de la plage un beau jour d’été après le déclenchement des poursuites contre mon fils. On m’a collée l’accusation de trafic de drogue sur la base de cette machine qui devrait servir selon l’acte d’accusation, de moyen de transport de drogue vers l’Espagne. Pensez-vous qu’avec une telle machine on peut effectuer la traversée du détroit avec plusieurs kilos de drogue embarqués dedans ? Posez la question à n’importe quel moniteur de jet ski ou autre professionnel, il va vous répondre que c’est une opération pratiquement impossible à réaliser. En plus, comment pourrais-je, surtout avec mon âge, faire autant d’aller et retour du Maroc vers l’Espagne sur ce jet ski sans que rien ne me soit arrivé. Tout cela est absurde et montre bel et bien que nous avons été victimes, moi et mon fils, d’une campagne bien orchestrée dont je ne connais pas les tenants et les aboutissants. Comme je suis analphabète, les enquêteurs de la police judicaire de Tétouan m’ont fait signer des PV où j’avouais que j’ai bien trempé dans le trafic de drogue en tant que complice de mon fils. Et pour enfoncer le clou, ils ont présenté aux juges qui m’ont condamnée une seule pièce de conviction. Détrompez-vous, ce n’est pas de la drogue. C’est uniquement le jet ski que je n’ai pas encore récupéré de la fourrière de la ville de Tétouan. Pour moi, comme pour mon fils, les enquêteurs n’ont présenté aux juges aucun gramme de cannabis où autre drogue justifiant de telles condamnations. Prenez l’exemple des petits dealers. A chaque fois qu’ils sont présentés à la justice, c’est sur la base du flagrant délit qui suppose la saisie de leurs marchandises. Ce qui n’est pas le cas de Mounir Erramach. Sa condamnation a été basée sur ce on raconte sur vous que vous êtes un baron international de la drogue. Mais où sont justement les preuves de ce on ?
L.G.M : mais à l’époque les autorités ont saisi plusieurs hors-bord et autres embarcations qui appartiennent à votre fils et qui servaient justement pour le transport de la drogue vers l’Espagne ?
T.T : les zodiacs qui ont été saisis dans le cadre de l’affaire et qui ont été diffusés sur les deux chaînes de télévision n’appartiennent pas à mon fils. Et cela tous les gens du Nord peuvent vous le confirmer. Allez-y et faites votre enquête. Les embarcations ont été ramenées de Ksar Shgir et ils sont la propriété d’un grand narcotrafiquant dont je tairais, pour l’instant, le nom. Celui-ci circule en toute liberté au nord du pays malgré son implication avérée dans plusieurs affaires de blanchiment d’argent et de trafic international de drogue.
L.G.M : et les autres talkies-walkies, pistolets et sabres qui ont été saisis chez votre fils et présentés aux juges ?
T.T : Je vous assure qu’aucun objet de tout cela n’appartient à Mounir Erramach. Je profite de cette occasion pour inviter toute la presse à venir à Tétouan et enquêter sur cette affaire. Demandez à n’importe quel habitant de la région qui connaît mon fils, de loin ou de près, il vous dira qu’il est innocent de ce qu’on lui a collé comme accusations.
Les procès-verbaux de ses prétendues dénonciations ont été distribués à toute la presse, mais devant le juge d’instruction aussi bien à la Cour spéciale de justice qu’à la Cour d’appel de Tétouan, Mounir Erramach a affirmé qu’on l’avait frappé, torturé pour lui extorquer ces déclarations. Et devant les juges, il a également déclaré qu’il ne connaissait aucun des autres détenus incarcérés dans cette même affaire. Je vous le dit pour la énième fois : mon fils a trempé dans la contrebande des cigarettes qui lui rapportait plus qu’il ne pouvait gagner dans le trafic de la drogue.
L.G.M : revenant à la fameuse soirée du 3 août 2003, le point de départ du feuilleton Erramach. Que s’est-il passé réellement ?
T.T : ce soir là, Mounir Erramach, comme nous tous, fêtait l’anniversaire de sa nièce à Cabo Negro. Nous étions tous là, regroupés autour d’un dîner familial pour célébrer l’évènement.
Passé minuit, Mounir et son beau frère ont décidé d’aller en boîte de nuit pour y rencontrer des amis. Ils sont partis au Baobar, la boîte de nuit la plus réputée à Marina Smir.
A peine ont-ils franchi la porte d’entrée qu’une bagarre a éclaté entre la bande de Mourad Bouziani et le clan de Hicham Harbouli pour une histoire de filles. Mounir a essayé vainement de calmer les esprits de Mourad à qui on a cassé le pare-brise de sa voiture.
Connaissant les antécédents et le mauvais caractère de Bouziani, Mounir a réussi toutefois à le persuader à déposer plainte au commissariat de police. Une fois sur place, les policiers n’ont pas pris la chose au sérieux et ont signifié à Mourad de revenir le lendemain.
C’est ce qui va d’ailleurs provoquer la rage de Bouziani qui tenait coûte que coûte à faire le justicier de la nuit. Mounir l’a accompagné jusqu’à sa voiture et lui a dit de se calmer si ce n’est que pour la présence de S.M le Roi à Marina Smir. Ce qui n’était pas le cas.
Après l’avoir déposé à la station d’essence, Mounir a regagné la maison familiale. Et ce n’est qu’au lendemain matin que mon fils a été informé de la suite de la bagarre des clans qui a dégénéré au point de provoquer une fusillade à côté du palais royal. Bouziani s’est bel et bien fait justice lui-même.
L.G.M : pourtant votre fils entretient des relations très étroites avec les deux clans qui ont été derrière cette fusillade qui avait éclaté pour une histoire de came de mauvaise qualité ?
T.T : du tout. La seule connaissance de mon fils dans les deux clans est celle de Mourad Bouziani. Ils se sont connus à Marina Smir lorsque mon fils lui avait vendu sa voiture. Comme vous le dites, ce sont les deux clans, ceux de Mourad Bouziani et Hicham Harbouli qui se sont bagarrés, et je ne vois pas pourquoi la justice a introduit mon fils dans cette sale histoire.
A présent, si mon fils est devenu ce qu’il est c’est justement à cause de cet individu qui n’a pas hésité à lui envoyer ses sbires pour lui régler ses comptes lorsqu’il était incarcéré à la prison de Kénitra. Et pour cause, le refus de mon fils de payer la somme de 700 000 dirhams en contrepartie de la protection que pouvait lui accorder Mourad Bouziani en prison. S’ils entretenaient, comme vous le dites, des relations très étroites, ils ne seraient pas arrivés à ce point.
L.G.M : on dit de votre fils qu’il faisait tout pour se faire remarquer, se déplaçant en cortège et entouré de gardes du corps…
T.T : mon fils n’a pas de garde du corps comme le laissent entendre les PV de la BNPJ. C’est un ami d’enfance, arrêté également, qui n’a pas l’allure d’un vrai garde du corps, que l’on a voulu présenter comme ainsi. Il ne faut jamais croire ce que l’on peut vous raconter sur une personne qui ne fume pas, ne bois pas et de surcroît ne se drogue pas. Cette version des faits que les autorités marocaines ont collée à mon fils est loin de la réalité. Comme tous les Marocains de son âge, son idole a été et est toujours le Roi Mohammed VI. Et je saisis cette occasion pour demander au Souverain de ne pas croire aux mensonges qu’on a pu raconter sur mon fils.
L.G.M : on prête à votre famille une fortune colossale qui, dit-on, provient essentiellement du trafic de drogue ?
T.T : c’est faux et archi faux. Si vous faites allusion à l’argent de mon fils, je peux vous assurer qu’elle émane de son business que lui laisse la contrebande des cigarettes qui rapporte, comme je vous l’ai déjà dit, gros. Les autres biens de la famille, dont la majorité a été saisie par la justice, sont limités à une station d’essence, une pizzeria, et un appartement situé à Marina Smir qu’on louait pendant la saison estivale.
Ce sont des biens qui appartiennent à moi et non à mon fils. Avant d’en arriver là, j’avais une imprimerie à Tétouan qui m’avait permis d’investir dans des créneaux comme la restauration.
L.G.M : vous tenez toujours à blanchir votre fils bien que les deux juridictions, la CSJ et la Cour d’appel de Tétouan, ont jugé de sa culpabilité.
T.T : en tant que famille, nous contestons les deux verdicts qui sont à nos yeux infondés. Mounir Erramach est innocent et je ne cesserai pas de le répéter. J’ai peur pour lui car sa vie est menacée de jour en jour. Le plus urgent pour nous à présent, c’est qu’on l’autorise à voir un médecin pour ses crises de reins. En second lieu, nous demandons la révision du procès pour que justice soit rétablie.
source:lagazettedumaroc