A aucun moment, Mohamed ne peut évoquer ses souvenirs. Ils sont imprégnés d’une vie douloureuse. Né en 1969, il n’a pas connu son père. Sa mère était une fille de joie et lui était le fils de l’un des nombreux hommes qu’elle fréquentait. Elle n’a pas avorté, faute de moyens, et le jour où il est né, elle l’a confié à une famille casablancaise. Mohamed ignorait tout. Il ignorait surtout la contrepartie que sa mère recevait pour le laisser entre les mains de cette famille tout en lui rendant visite à la fin de chaque mois. Si elle n’empochait aucun sou, pourquoi a-t-elle décidé quand il avait atteint son huitième printemps de le confier à une autre famille demeurant à Marrakech ? Le pire, c’est que ni sa mère ni la famille casablancaise qui l’avait pris en charge durant huit ans, ni sa nouvelle famille marrakchie n’ont pensé l’inscrire à l’école. Six ans plus tard, à l’âge de 14 ans, il a fugué. La famille marrakchie ne l’a pas recherché. Par ses propres moyens, il a regagné Casablanca. Ne sachant pas où vivait sa mère, il est devenu SDF jusqu’au jour où il a croisé un forgeron qui a pris l’initiative de lui apprendre le métier. Il a passé deux dans son atelier avant de l’abandonner. Pourquoi ? Il prétend avoir été abusé par un jeune homme. Il est retourné aussitôt chez la famille d’accueil marrakchie. Mais, ne voulant plus de lui, elle l’a conduit chez une femme qui connaissait sa mère. Elle l’a emmené à Casablanca et l’a confié à sa grand-mère qui s’est très vite débarrassé de lui en le conduisant chez sa mère qui demeure au quartier Bouchentouf. Au bout d’une seule semaine, Mohamed a préféré retourner chez sa grand-mère. La raison ? Il n’a pas pu supporter de vivre sous le même toit que sa mère et son amant. Sa grand-mère a accepté de l’accueillir, mais contre une somme d’argent hebdomadaire que devait lui remettre sa fille. Une fois cette dernière a cessé de lui envoyer l’argent, Mohamed a été tout simplement chassé. Il est donc revenu chez sa mère. Cette dernière ne l’a pas supporté surtout quand il lui a demandé de lui parler de son père. Elle répondait toujours : «tu es tombé du ciel !». Enfin, Mohamed est arrivé à avoir son livret d’état civil avec le nom de famille de sa mère et une case du père X. Mohamed s’est engagé pour effectuer le service militaire. À ce moment-là, sa mère émigre en France sans qu’il le sache. Il ne l’a appris qu’une fois rentré définitivement de la caserne militaire pour la rejoindre au quartier Bouchentouf. Il s’est retrouvé seul, jusqu’au jour où sa tante est venue lui tenir compagnie. Cette dernière lui a promis de le conduire chez son père qui demeure, selon elle, dans l’ancienne médina. Ce n’était pas vrai. Mohamed n’a pas trouvé son père et est retourné chez lui le cœur brisé. Entre-temps, il a chassé sa tante qui s’adonnait, elle aussi, à la prostitution. Et il a plongé dans un gouffre de désespoir sans fin qui l’a conduit vers une tentative de suicide. Il a échappé à la mort et retrouvé de nouveau goût à la vie. Il trouve un travail dans une salle de cinéma, puis en tant que marchand ambulant à Kissariat Al Haffari, à Derb Soltan. Mohamed donne l’impression d’avoir dépassé la crise. Tout allait bien jusqu’au jour où sa mère est revenue au Maroc pour lui proposer de se marier. Mohamed aimait justement une jeune fille, Nawal, et c’est elle qu’il a épousée. Rapidement, l’acte de mariage établi, le couple s’installe chez la mère de Mohamed. Un mois plus tard, les disputes ont commencé a éclater entre la belle-mère et la belle-fille. Un premier divorce a eu lieu, mais, rapidement, le couple s’est réconcilié. Nawal et Mohamed ont repris leur vie conjugale et un enfant est venu égayer leur foyer. Une joie qui a pris fin trois semaines après la naissance du bébé, puisque les disputes entre l’épouse et la belle-mère ont repris. Un deuxième divorce est intervenu. Pour gagner sa vie et subvenir aux besoins de son unique enfant, Nawal a commencé à se prostituer. Un an plus tard, elle a repris sa vie conjugale avec Mohamed. Seulement voilà, elle n’a pas abandonné son activité qu’elle exerçait en catimini. Cinq ans plus tard, Mohamed a décidé de la répudier pour la troisième fois. Elle a donc poursuivi, cette fois-ci publiquement, à le plus vieux métier du monde. Elle était là, en compagnie de ses clients, face aux regards embarrassés de son ex-mari. Mohamed en pouvait plus au point qu’il a décidé de se venger. Il s’est rendu chez elle avec un couteau à la main et lui a asséné plusieurs coups de couteau. Nawal a été sauvée et Mohamed arrêté et traduit devant la justice.
Abderrafii ALOUMLIKI
Aujourdhui.ma