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Imbroglio juridique pour un Franco-marocain

BELFORT. _ La loi applicable à la filiation ou au mariage peut-elle varier au regard de la religion ou de l’origine des personnes en cause ?

C’est une des questions que pose ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire Bellakhdim », du nom d’un technicien belfortain qui s’est découvert père, au Maroc, d’une petite Alsacienne domiciliée dans le Haut-Rhin, alors que sa non-paternité est juridiquement établie en France.

Les faits : le 2 février 1996, le tribunal de Mulhouse prononce le divorce de Mohammed Bellakhdim et de son épouse. Cette dernière donne le jour, en septembre 1996, à une fille. En mars 1997, elle forme une demande de pension alimentaire contre son ex-époux. Mohammed Bellakhdim conteste sa paternité. Le tribunal de Mulhouse ordonne une expertise génétique : celle-ci conclut sans ambiguïté qu’il n’est pas le père de l’enfant.

L’affaire rebondit au Maroc. Mohammed et son épouse sont de nationalité française et vivent en France, mais ils sont d’origine marocaine, nés au Maroc, et sont donc aussi Marocains. L’ex-épouse saisit le tribunal d’El Jadida, pour obtenir une pension alimentaire.

Et là, surprise : les juges marocains lui donnent raison en déclarant que les analyses biologiques sont contraires à la tradition musulmane. La cour d’appel confirme en soulignant que, selon la tradition « chariaïque », tout enfant né moins d’un an après la dissolution du mariage est de l’ex-mari. La Cour suprême du Maroc (l’équivalent de notre Cour de cassation), réunie en assemblée plénière, confirme.

« Il n’était d’ailleurs pas nécessaire qu’ils soient Marocains pour faire intervenir le tribunal d’El Jadida, il suffisait qu’ils soient musulmans, ce qui était le cas », commente le professeur François-Paul Blanc, qui enseigne le droit musulman à l’université de Perpignan (1).

Doutes sur la convention

« Etonnant, impensable » réagit, de l’autre côté de la Méditerranée, la Gazette du Maroc, dans son édition du 14 février dernier au sujet de ce conflit entre tradition et modernité. Car, depuis 2004, le code marocain de la famille prévoit expressément le recours à l’expertise génétique comme moyen de preuve. « Le juge peut se baser sur l’expertise ADN pour confirmer ou rejeter la filiation », dans ce cas précis, précise à Rabat, Najat El Gass, avocate marocaine et auteur d’« Opinions sur la situation juridique de la femme marocaine ». La cour suprême a d’ailleurs admis dans une affaire suivante la preuve par ADN en matière de filiation.

Quant à la convention franco-marocaine, sa lecture semble limpide : est compétent le « tribunal sur le territoire duquel les époux avaient leur dernier domicile commun ». Le tribunal de Mulhouse était donc compétent et sa solution devait s’imposer au Maroc. Sauf… que la même convention prévoit que ses règles ne sont pas applicables si « l’ordre public s’y oppose ». Et c’est précisément cet argument qu’ont développé les juges marocains en retenant qu’une procédure civile « révélée » (la prescription « chariaïque » d’une année) était d’ordre public dans un pays musulman, et permettait d’écarter les conventions internationales.

Insécurité juridique

Evidemment, cette lecture des textes ouvre des abîmes d’insécurité juridique pour les enfants de Marocains nés en France et dont la situation, en matière de filiation et de succession, pourrait être remise en cause au Maroc malgré un jugement français antérieur.

Nous n’en sommes pas là : pour l’heure Mohammed Bellakhdim, qui n’est pas touché par le jugement en France mais qui est débiteur de la pension alimentaire au Maroc, a engagé une nouvelle procédure devant les tribunaux marocains en leur demandant de respecter la convention de 1981. « Si cette convention n’est plus appliquée, il faut le dire et il faut que tous les Franco-marocains le sachent », lâche le Belfortain.

Philippe PIOT

Il a consacré un long article juridique à l’affaire Bellakhdim dans le numéro 12 de la « revue franco-maghrébine de droit » (Presses universitaires de Perpignan).

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