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Comment l’Etat et ses médias ont comploté contre « le Journal »

Des reportages orientés
Le tournage commence donc vers 10 heures devant le siège du Journal. Samira Sitaïl contacte, par téléphone, sa journaliste et lui recommande de monter au siège de la publication, pour un sonore avec Aboubakr Jamaï. Et ajoute : « je sais qu’il ne parlera pas, mais vas-y quand même ». La directrice de l’info à 2M et conseillère « télévisuelle » occasionnelle du roi sait qu’elle a commis une grosse bourde la veille. Le reportage consacré à la manifestation organisée contre Le Journal devant le Parlement, ne donne pas la parole aux représentants du Journal. En déontologie journalistique, c’est un élément qui tend à prouver la mauvaise foi.
Encore sous le choc de la condamnation de la HACA pour manquement aux règles de l’éthique, cette fois, elle veut se couvrir. A la surprise de Saïda Benaïcha, le directeur du Journal accepte de faire une déclaration, à condition que l’entretien soit enregistré par une caméra du Journal. En fait, Aboubakr Jamaï ne voulait pas que ses propos soient déformés. La journaliste s’isole alors un moment dans un coin du bureau et appelle sa patronne qui lui ordonne de renoncer à l’entretien et de rejoindre le siège de la chaîne d’Aïn Sebaâ.
Initialement, le « reportage » devait être diffusé pendant le journal de 12 h 45. Mais en raison de l’absence de Samira Sitaïl, partie à Rabat, il a été décidé qu’il passerait à 19 h45.
Quelle était la raison de son déplacement soudain à la capitale ? Certains journalistes assurent qu’elle a été voir Fouad Ali El Himma, mais rien ne permet de le confirmer. Selon une source syndicale de 2M, c’est Samira Sitaïl qui a supervisé elle-même le montage à son retour de Rabat. Avec un mot d’ordre précis : focaliser sur les visages et non sur le sit-in. Et pour cause. Il y avait plus d’agents (en uniforme et en civil) que de « manifestants ».

Montages supervisés par les directeurs
Pendant le montage, la directrice de l’information constate que les personnes interrogées -et qu’elle avait elle-même recommandées auparavant-, n’étaient pas « crédibles », selon sa propre expression.
Elle improvise alors, avec son adjoint Taoufiq Debbab, un « entretien » avec Omar Essayed, figure emblématique du groupe Nass El Ghiwane (voir Le Journal hebdo du 11 au 17 février 2006, où l’artiste raconte comment il a été piégé, dans cette affaire, par les journalistes de 2M). A la fin du montage, et après quelques hésitations, Samira Sitaïl décide de garder les images d’Aboubakr Jamaï dans son bureau, sans « sonore ». En les voyant, le téléspectateur pourrait ainsi penser que le directeur de publication du Journal hebdo avait refusé d’accorder une déclaration.
A 19 h 45, le reportage est diffusé. La majorité des journalistes de la chaîne d’Aïn Sebâa le voient pour la première fois puisqu’il n’a été ni abordé ni discuté en conférence de rédaction.
Enfin, un certain nombre d’employés de 2M assurent que la cassette du reportage n’a pas encore été « rangée » dans la bandothèque de la chaîne. Elle reposerait toujours sur le bureau de la directrice de l’information, afin d’éviter toute « fuite » …
Vendredi 17 février, une réunion a lieu entre les journalistes et les employés de 2M affiliés à l’UMT. Il faut réagir « pour sauver l’honneur », explique un syndicaliste. Le lundi suivant, la réunion du bureau syndical accouche d’un communiqué condamnant la manière dont la direction de la chaîne a conduit tout ce processus. « En réalité, ajoute ce responsable syndical, nous voulions réagir bien avant. Nous constations avec beaucoup d’indignation la manière dont Le Journal était régulièrement attaqué par la revue de presse hebdomadaire. Cette affaire crapuleuse a été pour nous la goutte qui a fait déborder le vase ».
A la TVM, les choses se sont passées de manière plus simple, mais avec des effets presque similaires. C’est la régie de Casablanca qui a réalisé le « reportage » sur le sit-in devant Le Journal Hebdo. Et contrairement à ce qui se fait d’habitude, le montage n’a pas été effectué à Casa. Les « rushs » ont été expédiés directement à Rabat, et remis, en mains propres, à Ali Bouzerda, directeur de la télé. « C’est lui qui a supervisé de bout en bout le montage », assure un journaliste.
Ayant constaté, à son tour, l’absence du sonore de Larbi Kebbaj (Jeunesse istiqlalienne), Ali Bouzerda envoie une équipe à Casa pour recueillir une « déclaration » … Avant de quitter la salle du montage, Ali Bouzerda lance aux quelques collaborateurs présents : travaillez à partir de la dépêche de la MAP. Une dépêche modèle de désinformation : elle gonfle l’événement sans donner la parole à aucun représentant du Journal, alors que six associations de quartiers ont été citées.

Elus, présidents d’associations, représentants de l’autorité
Sur le terrain, les agents d’autorité (caïds, moqadems, chioukhs) et certaines associations de quartiers (souvent présidées par des élus locaux) ont constitué le noyau dur des manifestants du sit-in.
Il y a eu d’abord des « réunions de préparation entre des représentants des associations locales et des agents des arrondissements, bien avant la tenue des manifestations », assurent des témoins. Pendant le week-end, les auxiliaires d’arrondissements et les présidents des associations de quartiers se seraient réunis pour établir le plan d’action. « Durant une réunion du dimanche, des élus et des présidents d’associations en compagnie de représentants de l’autorité ont organisé un dîner.
Ils se sont partagé les responsabilités pour recruter les manifestants avec la promesse de rémunération de 100DH/personne recrutée », assure un témoin et ex-militant de la Chabiba Ittihadiya qui ajoute qu’une semaine plus tard, les recrues n’ont pas encore été payées.
« Les chioukhs et les moqadems dépendent des préfectures. Les instructions dans ce cas de figure ne sont jamais écrites pour ne pas laisser de traces. Les relais de l’intérieur s’occupent de la mobilisation des associations. Ces derniers assurent le reste, c’est-à-dire le recrutement des citoyens du quartier. Différentes astuces sont utilisées : promesse de trouver un emploi ou une subvention, contrepartie matérielle, couverture pour une activité illicite », explique un militant associatif. D’autres, à l’instar de ce gardien, ont été forcés de participer à la manif. « Le moqadem du passage piéton Moulay Abdellah lui a confisqué sa CIN en lui disant qu’il la rendrait une fois la manifestation terminée. Il n’avait pas le choix », s’insurge un témoin.
Durant les deux manifestations du mardi 14 février devant les locaux du Journal et le 15 février devant l’imprimerie Ideal, les manifestants sont arrivés à bord de véhicules marqués du J des communes urbaines. Les forces de l’ordre étaient installées bien avant le sit-in. A partir de là, l’accointance entre la préfecture et les personnes mobilisées ne fait plus de doute. Les représentants des associations sont pour la plupart des élus communaux ou des employés d’arrondissements. Et les pancartes ont même été exhibées au nom de tous les élus de la ville. « Faux, nous informera Bachir Znagui, ex-journaliste et membre du conseil de la ville de Casablanca.
Il s’agit d’une manipulation. Moi-même, je n’ai pas participé à cette manifestation ainsi que tous les élus de l’USFP ». La jeunesse istiqlalienne, citée par l’agence officielle MAP comme partie prenante de cette manifestation, a tenu, elle aussi, à apporter un démenti.
Mais, où a-t-on préparé les pancartes et les banderoles ? On retrouve les traces de l’une d’elles sur le mur du dépôt de la commune de Sidi Belyout (voir photo), situé à quelques mètres du siège du Journal, rue Majid Bnou Bahar. En somme, les pancartes ont bien été confectionnées dans des locaux de la commune. « La confection des pancartes, la rédaction des textes et le tirage à 4 ont été faits dans les locaux de la commune », affirme cette source digne de foi. Pour ce qui est des associations, la plupart sont inconnues. Un membre de « Mahabbate Biladi », la plus crédible du lot, ne cache pas sa frustration.
Il assure que la décision de participer à la manifestation a été prise par le président sans consultation des autres membres de l’association. Un président, ex-élu communal !

Promesses et contreparties financières

La manifestation devant l’imprimerie « Ideal » était plus importante et plus agressive. « J’avais tellement peur. Je croyais qu’ils allaient brûler l’imprimerie », confie cet employé. Les « militants » étaient encadrés par les fonctionnaires des arrondissements. Il y avait bon nombre de désœuvrés, mais aussi des dealers notoires. « C’est une pratique connue chez les moqadems des quartiers périphériques. Ils ferment les yeux devant les agissements des beznassas. En contrepartie, les dealers obéissent automatiquement à leurs ordres », explique un militant. Il y avait également des élus : Labsir de Hay Mohammadi et Brija de Sidi Moumen. « C’était impressionnant. Ils étaient entourés de leurs sbires comme pour une campagne électorale », souligne ce témoin.
Embrigadés par les chioukhs et les moqadems, nombre de ces manifestants, issus de quartiers défavorisés, pensaient sérieusement que « Le Journal » avait porté atteinte au prophète Mohammed. C’est, en tout cas, ce qu’on leur a fait croire. « En lisant la chronique de Rachid Niny, j’ai appris que le directeur de publication du Journal faisait sa prière alors qu’on nous l’a décrit comme un mécréant », avoue un de ces manifestants qui préfère garder l’anonymat. Il admettra également avoir tout simplement répondu à l’appel de la commune pour manifester contre les « kouffars » qui ont publié des caricatures du Prophète.

dans le plus grand secret
Dans ces opérations d’enrôlement, il semble admis que les caïds, moqadems et autres chioukhs opèrent dans des arrondissements où ils ne sont pas assignés.
Les préparatifs se font dans le plus grand secret. « L’objectif est de montrer que la manifestation est tout à fait naturelle et qu’elle émane de la société civile. Pour cela, en plus des associations, des représentants des partis politiques, aussi insignifiants soient-ils, doivent également être de la partie pour légitimer l’opération », ajoute le même militant. « Mobiliser les masses, en leur faisant croire que Le Journal a publié des caricatures portant atteinte au Prophète, n’est pas très différent de l’appel au meurtre. Cela me rappelle les scénarios tragiques de l’Amérique Latine », conclut M. Abdellah Zaâzaâ, le militant associatif et président du réseau Resaq.
Pour preuve : « Le Journal Hebdomadaire » a reçu un courrier anonyme. Un dessin fait à la main y montre deux cochons sur lesquels figuraient deux croix gammées et deux étoiles de David…

Lejournal.

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