En revanche, l’enseignement jusqu’à la licence, c’est-à-dire pour des étudiants entre 18 et 22 ans, resterait dans des logiques nationales. Ces premières années de formation à l’université pourraient devenir progressivement un prolongement de l’enseignement scolaire.
Les universités vont-elles être totalement privatisées ?
J’en doute, car, politiquement, les démocraties ont tout intérêt à garder un contrôle au moins partiel de l’enseignement supérieur. Je vois mal ces gouvernements arrêter de financer au moins une partie de leurs étudiants nationaux, tout d’abord pour des raisons d’équité. Avec plus ou moins de succès, l’enseignement supérieur reste un ascenseur social dans les démocraties. A tel point qu’en Grèce, certaines dispositions relatives aux universités sont inscrites dans la Constitution, ce qui les rend très difficiles à réformer.
Les démocraties peuvent aussi trouver un intérêt stratégique à garder un certain contrôle sur les formations. Regardez aux Etats-Unis. Pour préparer le remplacement des enseignants et des scientifiques qui vont partir à la retraite, le pays a fait appel à la matière grise d’origine étrangère : 40 % des doctorats en science et ingénierie ont été attribués à des étudiants internationaux en 2003. Mais un rapport de la National Science Foundation (NSF)[une agence fédérale] vient de souligner qu’il était dangereux de devenir trop dépendant des étrangers dans un secteur aussi stratégique que les sciences. Cette fondation a appelé à une campagne vigoureuse de recrutement d’étudiants nés aux Etats-Unis.
Faut-il craindre l’émergence de sociétés d’enseignement privées privilégiant le profit à court terme ?
Même les entreprises d’éducation cotées en Bourse très rentables, comme Laureate ou Apollo aux Etats-Unis, s’alignent sur les valeurs académiques du milieu : c’est le fonds de commerce des établissements.
De leur côté, les établissements publics ou privés à but non lucratif peuvent calquer leur gestion sur celle des entreprises, être managés par des gestionnaires professionnels, faire fructifier des portefeuilles financiers colossaux, comme Harvard ou Yale… Leur finalité n’est pas pour autant la recherche de profits. Je crois que ce modèle peut perdurer.
Les étudiants étrangers sont fortement convoités. Certaines universités américaines et britanniques s’inquiètent de ne plus en accueillir assez, la France réfléchit aux actions pour garder sa place. Le jeu va-t-il se durcir ?
La concurrence entre universités américaines, européennes et asiatiques, déjà forte, va en effet se renforcer car toutes veulent attirer des étrangers sur leur campus, pour asseoir leur image internationale et recruter les meilleurs. L’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Royaume-Uni ont annoncé que l’internationalisation de leurs universités était une priorité. L’enjeu est également économique.
D’ici à 2025, la demande d’enseignement supérieur transnational va augmenter de 5,8 %, majoritairement en Asie. Les 2 millions de personnes étudiant hors de leurs frontières rapportent un peu plus de 40 milliards de dollars (33,2 milliards d’euros) de revenus annuels aux pays d’accueil. Le marché est prometteur. Les pays de l’OCDE ne comptent que 7 % d’étudiants étrangers, contre 20 %, par exemple, en Australie.
Les campus américains vont-ils garder leur suprématie ? Les élites mondiales de demain ne seront-elles pas formées sur des campus chinois ?
Je ne pense pas que la Chine va dominer le marché de la formation des élites mondiales, même à moyen terme. Certes, le pays installe un système d’enseignement supérieur ambitieux, et espère créer une centaine d’universités d’élite. Entre 1995 et 2003, près de 700 programmes internationaux se sont d’ailleurs développés en partenariat avec des universités étrangères. Toutefois, cet investissement répond en premier lieu à un besoin interne : aujourd’hui, la Chine n’arrive pas à répondre à la demande d’enseignement pour sa jeunesse. Il y a actuellement près de 300 millions de moins de 15 ans. Cette demande ne va cesser de croître.
Dans l’enseignement supérieur, l’image d’une université et sa réputation sont essentielles. Les grands établissements occidentaux bénéficient d’une attractivité très forte, liée à leur histoire, à leur prestige et, pour certains, au niveau très élevé de leurs ressources financières. L’écart entre la Chine et les principaux pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, reste considérable. On peut penser que la formation des élites mondiales demeurera pendant longtemps un privilège des pays occidentaux.
La Chine est le pays qui envoie le plus d’étudiants à l’étranger. Peut-on imaginer, demain, une déferlante chinoise sur les campus occidentaux ?
L’enseignement supérieur chinois, et plus largement asiatique, s’améliore progressivement, grâce aux partenariats avec les universités étrangères et au retour des étudiants chinois formés dans les meilleures universités du monde. Paradoxalement donc, la mobilité intercontinentale des Asiatiques devrait se réduire à long terme. Ou se transformer : plutôt que d’entamer des études longues à l’étranger, ils pourraient privilégier, comme les Américains ou les Européens, des séjours plus courts, plus ciblés.
Lemonde.